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Pendant qu’on terminait ces arrangemens, la France et l’Autriche avaient conclu à Lunéville un traité qui aggravait, pour le cabinet de Vienne, les stipulations de Campo-Formio. Le nouveau cabinet anglais, appelé pour faire la paix, ne tarda pas à ouvrir lui-même des négociations. Cette fois, de part et d’autre, on voulait bien sincèrement arriver à un résultat. Près d’une année s’écoula pourtant avant qu’on pût y parvenir. Dans cet intervalle, il survint plusieurs évènemens qui parurent améliorer la situation extérieure de l’Angleterre. Paul Ier périt assassiné, et sa mort brisa les liens de la coalition maritime du Nord, que Nelson avait déjà fort ébranlée par la victoire de Copenhague. La Russie et ses alliés reconnurent par des conventions formelles le principe de la visite des bâtimens neutres, même convoyés. C’était un grand succès pour la politique anglaise. Bientôt après une expédition préparée, comme celle de Copenhague, par le ministère de Pitt, obligea les Français à évacuer l’Égypte, et fit ainsi disparaître un des principaux obstacles qui s’opposaient à la paix. Quelque grands que fussent ces avantages, ils ne suffirent pas pour ranimer en Angleterre l’esprit public, découragé par tant de mécomptes. Les préparatifs que le premier consul, libre désormais de toute autre préoccupation, faisait alors au camp de Boulogne, l’armée qu’il y avait rassemblée, la flottille toute prête à la transporter sur le sol britannique et que Nelson venait d’attaquer sans succès, jetaient dans les ames une sorte de terreur. On voulait la paix, on la voulait presque à tout prix. Le ministère céda à cet entraînement. Le 25 mars 1802, le traité d’Amiens fut enfin signé. L’Angleterre rendit à la France toutes les possessions qu’elle lui avait enlevées pendant neuf ans de guerre ; elle restitua également à l’Espagne et à la Hollande toutes leurs colonies, à l’exception des îles de la Trinité et de Ceylan. Vainement les négociateurs britanniques s’efforcèrent de conserver aussi à leur pays le Cap et l’île de Malte, ou tout au moins cette dernière ; ils durent stipuler qu’elle serait rendue à l’ordre dans le délai de trois mois. L’acquisition de la Trinité et de Ceylan était bien peu de chose, sans doute, en comparaison du prodigieux accroissement de puissance que la France venait d’acquérir. Tels étaient cependant la lassitude universelle et le besoin de repos, que l’aide-de-camp du premier consul chargé de porter à Londres la ratification des préliminaires du traité y fut accueilli avec enthousiasme, et que le peuple traîna sa voiture en signe d’allégresse.


L. DE VIEL-CASTEL.