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les Anglais fut une des causes déterminantes de cette rupture, de même que la prise de cette île par les Français avait contribué principalement à armer la Russie contre le directoire. Lorsque les Anglais en avaient formé le blocus, auquel les forces navales russes avaient d’abord pris part, il avait été convenu que, si on réussissait à s’en emparer, l’île serait gouvernée jusqu’à la paix par des délégués des cours de Londres, de Naples et de Saint-Pétersbourg. Cependant, l’empereur ayant retiré son escadre avant la capitulation de la garnison française, les Anglais prirent seuls possession de leur conquête. Paul en éprouva une telle irritation, qu’il se décida immédiatement à faire mettre l’embargo sur les bâtimens anglais dans tous les ports de la Russie.

Déjà, d’ailleurs, le czar se trouvait engagé, pour un autre motif, dans une querelle très grave avec le cabinet de Londres. A mesure que la puissance navale de l’Angleterre s’était affermie par l’anéantissement de la majeure partie des flottes de ses ennemis, les prétentions de cette puissance contre la libre navigation des neutres s’étaient progressivement élevées, parce que les privilèges de cette navigation étaient la seule limite opposée à son omnipotence maritime, le seul moyen de communication un peu assuré qui restât à ses adversaires à travers l’océan. L’Angleterre en était venue à réclamer la faculté de visiter et de saisir les navires de commerce neutres, alors même qu’ils étaient escortés par des vaisseaux de guerre. La Suède et le Danemark, contre qui cette exigence était principalement dirigée, avaient vainement voulu s’y soustraire ; l’Angleterre n’avait pas eu égard à leurs réclamations. La Prusse elle-même avait vu sa navigation exposée à d’intolérables voies de fait. La cour de Copenhague, par un calcul habilement fondé sur le caractère bien connu de Paul, avait offert de le prendre pour arbitre dans un des incidens de cette contestation. Le cabinet de Londres s’y étant refusé, il n’en fait pas fallu davantage pour que ce prince, si facile à exciter dans son amour-propre et dans ses instincts un peu confus, mais sincères, d’équité naturelle, se jetât avec passion dans le parti des faibles qui semblaient implorer son appui. Il proposa au Danemark, à la Suède et aussi à la Prusse une confédération semblable à celle qui avait été formée, pendant la guerre d’Amérique, pour défendre les droits des neutres. Cette proposition fut acceptée, et plusieurs traités signés à Saint-Pétersbourg réglèrent les principes et les bases de la confédération. Aux termes de ces traités, tout bâtiment neutre pouvait, sauf le cas de blocus, naviguer librement d’un port à un autre et sur les côtes des puissances belligérantes ; les marchandises appartenant aux sujets de ces puissances