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l’ordre politique détruit par la révolution ; il annonçait, dans un manifeste officiel, que ses confédérés et lui avaient résolu de détruire le gouvernement impie et illégitime auquel la France était soumise, et il déclarait la guerre à l’Espagne pour la punir de sa liaison avec ce gouvernement abandonné de Dieu ; mais l’Angleterre et l’Autriche tenaient un langage tout différent. Pitt, interpellé dans la chambre des communes sur ce qu’on devait entendre par la délivrance de l’Europe, indiquée comme le but de la coalition, répondait qu’il fallait réprimer l’esprit d’usurpation et de propagande anarchique qui constituait la politique de la France, mais qu’on ne prétendait nullement faire du renversement de la république une des conditions de la paix. L’Autriche ne publiait aucune déclaration de principes, elle en a peu l’habitude ; mais ses actes indiquaient suffisamment qu’en aidant les Russes à chasser les Français de l’Italie, ce n’était pas pour les anciens souverains de ce pays qu’elle comptait travailler : en Piémont, dans les légations romaines, elle évitait de proclamer le rétablissement de l’autorité du roi de Sardaigne et du pape ; elle désarmait les populations que Suwarow avait excitées à s’insurger contre les Français, et qui avaient pu voir dans cet appel une promesse d’indépendance ; au lieu de poursuivre vigoureusement les troupes vaincues du directoire, ses généraux perdaient un temps précieux à soumettre des places fortes dont la conquête, inutile au but apparent de la guerre, la rendait plus complètement maîtresse des territoires qu’elle espérait garder.

Des vues si divergentes devaient faire naître entre les alliés des dissentimens sérieux sur la manière de poursuivre les hostilités. La défiance, l’aigreur, ne tardèrent pas à s’y mêler. L’humeur impérieuse et mobile de Paul Ier, le caractère impétueux et fantasque de Suwarow, la hauteur des Russes, la susceptibilité, la lenteur méthodique des Autrichiens, auraient suffi d’ailleurs pour rendre inévitable une prompte rupture. Des revers, amenés en grande partie par ces circonstances mêmes, vinrent l’accélérer. Un second corps de troupes russes était arrivé en Suisse sous les ordres du général Korsakow. Ce chef ignorant et présomptueux, refusant de se concerter avec les Autrichiens, pour lesquels il affectait un dédain ridicule, perdit contre Masséna la bataille de Zurich, une des plus décisives de cette guerre. Non-seulement Korsakow fut contraint, après sa défaite, d’évacuer précipitamment la Suisse, mais Suwarow, qui accourait d’Italie pour le secourir, compromis par ce désastre, put à peine, à force de courage et de persévérance, sauver les restes d’une armée que ses victoires