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mais plus souples ou animés de sentimens politiques plus conformes à ceux du directoire.

Ce n’était pas avec de tels instrumens, ce n’était pas surtout sous un gouvernement pareil qu’on pouvait s’attendre à voir recommencer les miracles des derniers temps du comité de salut public. Jourdan, que la faveur de l’opinion dominante avait fait placer, malgré ses dernières défaites, à la tête de la grande armée d’Allemagne, et qui s’était dirigé sur le Danube à travers la Forêt-Noire, fut de nouveau complètement battu par l’archiduc Charles et rejeté sur le Rhin. Masséna, repoussé aussi dans ses tentatives pour pénétrer sur le territoire germanique, put à peine se maintenir en Suisse contre l’archiduc. En Italie, Schérer, qui s’était hâté d’attaquer les Autrichiens avant l’arrivée des Russes, fut entièrement défait par le général Kray et perdit la moitié de ses soldats. Lorsque Suwarow prit, quelques jours après, le commandement des armées russe et autrichienne réunies, il ne trouva plus devant lui que des débris, et tout le génie de Moreau, appelé trop tard à remplacer Schérer, ne put que retarder un peu la marche du fougueux Moscovite, qui, parcourant le nord de la péninsule avec la rapidité de l’éclair et écrasant tous ses adversaires par le nombre de ses soldats et par son indomptable énergie, renversa en quelques semaines l’édifice que Bonaparte avait élevé en quelques mois. Pendant ce temps, les forces navales de la Turquie et de la Russie enlevaient Corfou à la France. La république parthénopéenne, abandonnée par les Français, succombait sous l’insurrection des paysans calabrais, dont les Russes, les Turcs et les Anglais secondaient les efforts. Dans les états de l’église, cette coalition étrange de mahométans, de schismatiques et d’hérétiques détruisait aussi le régime républicain. A peine, dans la Rivière de Gènes et sur quelques points du Piémont, les Français pouvaient-ils encore prolonger leur résistance au-delà des Alpes, et déjà l’apparition des Cosaques portait la terreur dans le Dauphiné.

Jamais, depuis le printemps de 1793, les ennemis de la France n’avaient obtenu d’aussi grands succès, jamais ils n’avaient semblé aussi près de triompher ; ils devaient pourtant échouer comme la première fois, et pour des motifs analogues, le peu d’accord des vues des alliés et, ce qui en était la suite nécessaire, le défaut d’ensemble dans leurs opérations. Dominé par ses sentimens chevaleresques et trop éloigné d’ailleurs de la France et de l’Italie pour que des idées de conquête et d’agrandissement pussent entrer dans ses projets, Paul Ier aspirait uniquement à la gloire de restaurer en tous lieux