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avait été déclarée complètement indépendante de celle de la Grande-Bretagne, on avait pu reconnaître les inconvéniens pratiques de la théorie sur laquelle reposait un pareil état de choses. Ces inconvéniens s’étaient surtout révélés à l’époque de la maladie de George III, lorsque le prince de Galles, appelé à la régence, avait reçu des chambres britanniques des pouvoirs très limités, tandis qu’il s’était vu investir par les chambres irlandaises de tous les privilèges attribués à la royauté. Le rétablissement du roi avait heureusement écarté cette difficulté, mais il n’en avait pas aboli le principe. Des difficultés analogues pouvaient se présenter et jeter la monarchie dans d’interminables embarras. Le moindre dommage qui pût en résulter, c’était l’affaiblissement du pouvoir, et cet affaiblissement, dans la situation où l’on se trouvait alors, était un danger mortel qu’il fallait conjurer à tout prix. Pitt pensa que le seul moyen d’atteindre ce but, c’était d’unir législativement les deux pays, de fondre le parlement irlandais dans celui de la Grande-Bretagne, comme sous la reine Anne on avait fondu le parlement écossais dans le parlement anglais, et il crut que l’abattement où les désastres de l’année précédente avaient plongé les patriotes irlandais faciliterait l’exécution de ce projet.

Un pamphlet fut publié en Irlande par un affidé connu du ministère, et répandu à profusion pour préparer les esprits à cette grande mesure. Il produisit une sensation très vive, et les idées qu’il développait devinrent l’objet d’une ardente polémique. Elles trouvèrent quelque faveur parmi les propriétaires fonciers et dans les villes de commerce, dont les intérêts étaient liés à ceux de l’Angleterre ; mais un grand nombre de comtés, de cités, de bourgs, prirent des résolutions contraires à l’union projetée, dans laquelle ils signalaient un suicide national. A Dublin surtout, on s’y montra extrêmement hostile, et le barreau presque entier vota contre une innovation qu’il déclara pleine de périls. Un vote semblable fut émis par une assemblée de bourgeois et de négocians tenue sous la présidence du lord-maire. Plusieurs assemblées paroissiales et le célèbre collége de la Trinité s’associèrent à ces manifestations, dont la corporation municipale avait pris l’initiative.

Le jour même où se réunissait à Dublin le parlement qui devait être saisi de la question, le 22 janvier 1799, elle fut aussi soumise à Londres à la chambre des communes : un message royal lui recommanda, pour déjouer les tentatives faites par l’ennemi dans la pensée de séparer l’Irlande de la Grande-Bretagne, d’adopter les dispositions les plus propres à améliorer et à perpétuer une union si nécessaire à la