Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/913

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes de troupes de terre et à cent vingt mille matelots ou soldats de marine. La somme que le gouvernement avait à se procurer au-delà des ressources ordinaires était de 23 millions sterling. Pitt proposa de demander à l’emprunt 14 millions, dont le tiers à peu près serait fourni par le fonds d’amortissement, et de substituer au triplement des taxes, qui avait assez mal réussi l’année précédente, un impôt direct sur le revenu, calculé dans les mêmes proportions, c’est-à-dire dans celle du dixième pour tout revenu de 200 livres sterling et au-dessus, et pour les revenus moindres, dans une proposition décroissante. La répartition de cet impôt, en d’autres termes, l’appréciation de toutes les fortunes, devait être faite par des commissaires pris dans une condition sociale indépendante et à l’abri de tout soupçon de partialité ; les intéressés qui se croiraient grevés étaient autorisés à en appeler à d’autres commissaires désignés à cet effet. On reconnaissait à ces intéressés le droit de produire leurs livres de comptes et tous autres documens pour prouver la surcharge dont ils croiraient avoir à se plaindre ; mais on n’attribuait pas à l’administration le droit d’exiger d’eux la présentation de ces documens, ni même aucune explication catégorique. D’après les calculs de Pitt, le nouvel impôt devait rapporter à peu près 10 millions sterling.

Un impôt ainsi établi était une grande innovation dans les habitudes de l’Angleterre. Il fut vivement combattu dans les deux chambres, comme ouvrant la porte à un système de contributions illimitées, comme devant avoir pour effet de pousser à l’émigration les propriétaires accablés, d’élever le prix des choses nécessaires à la vie, et de diminuer le produit des autres impôts. On signala tout ce qu’il avait d’arbitraire, d’oppressif, de contraire à l’esprit de la constitution, et en même temps toutes les issues qu’il ouvrait à la fraude. On prétendit qu’il ménageait trop les hommes d’argent, tandis qu’il pesait lourdement sur la propriété foncière, et, pour y remédier, on mit en avant l’idée d’en varier la quotité suivant la nature des propriétés qui y seraient soumises. On allégua, d’un autre côté, que la foi publique réclamait une exception en faveur des créanciers de l’état. Pitt répondit à tous ces argumens avec beaucoup de logique et de lucidité. Il démontra ce qu’il y aurait eu d’impraticable à modifier la base de l’impôt pour établir entre les contribuables une parfaite égalité, impossible en elle-même. Il soutint que les créanciers de l’état ne seraient fondés à se plaindre que dans le cas où une taxe particulière frapperait leurs rentes, et qu’on ne violait pas les engagemens contractés envers eux en les taxant comme tous les autres