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après avoir signé un traité par lequel elle s’obligeait à faire marcher 60,000 soldats contre la France moyennant un subside de l’Angleterre, et le premier acte de son successeur, Paul Ier, fut de révoquer les ordres donnés pour un recrutement qui pouvait seul le mettre en état d’accomplir les promesses de sa mère. L’Angleterre, ainsi réduite à ses seules forces, menacée sur son propre territoire d’une invasion qui ne paraissait plus impossible depuis que la France pouvait joindre à ses escadres celles de l’Espagne et de la Hollande, et qui eût été appuyée en Irlande par une insurrection presque générale, l’Angleterre commençait à redouter les résultats définitifs d’une lutte qui lui avait déjà imposé de si énormes sacrifices. En quatre ans, elle avait emprunté 70 millions sterling et ajouté plusieurs millions de taxes à celles qu’elle payait auparavant. Les esprits s’effrayaient de cette progression dont rien ne faisait prévoir le terme. Le crédit s’ébranlait. Les fonds publics étaient tombés beaucoup plus bas qu’aux plus mauvais temps de la guerre d’Amérique, et la baisse s’accélérait encore par l’effet du sentiment de vague terreur qui poussait les hommes timides à en retirer leurs capitaux. Une impulsion analogue, la crainte de l’invasion des Français, engageait les propriétaires, les fermiers, les industriels à retirer aussi des banques provinciales l’argent qu’ils y avaient déposé. Un grand nombre de ces banques firent faillite. La banque d’Angleterre elle-même, ébranlée par le contre-coup de ces catastrophes partielles, ne suffisait plus qu’avec peine aux besoins du commerce et surtout aux avances de numéraire que le gouvernement, pressé par d’impérieuses exigences, ne cessait de lui demander. Les directeurs avaient depuis long-temps averti le chancelier de l’échiquier qu’ils ne pouvaient plus lui continuer sans danger ce genre de concours ; mais Pitt, cédant à une nécessité absolue, persistait à puiser à cette source déjà presque tarie.

Cependant le nombre des personnes qui venaient se faire rembourser par la banque la valeur de leur papier augmentait de jour en jour avec la terreur de l’arrivée des Français. Il devint enfin si considérable, que les directeurs, sur le point d’être obligés de cesser leurs paiemens, implorèrent l’intervention du gouvernement. En présence d’une telle extrémité, Pitt ne désespéra pas. Le conseil privé fut convoqué le 26 janvier 1797, et, dans une forme aussi insolite que la mesure même à laquelle on avait recours, il exprima à l’unanimité l’opinion que la banque devait suspendre tout remboursement en numéraire jusqu’à ce que le parlement eût délibéré sur les moyens d’assurer la circulation et de soutenir le crédit public et commercial.