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Évidemment l’heure de la paix n’était pas encore arrivée. La France se sentait déjà trop puissante pour ne pas exiger de grands avantages, et l’Angleterre, victorieuse sur mer, n’était pas encore assez affaiblie par les revers de ses alliés continentaux pour consentir à d’importantes concessions.

Telle est la force de l’esprit de parti que lorsqu’on connut en Angleterre la rupture des pourparlers de Bâle, l’opposition n’eut pas honte d’en rejeter tout le tort sur le ministère. Fox, dans un discours où les difficultés même de la thèse qu’il avait à soutenir semblèrent augmenter encore la vigueur et l’éclat de son talent, laissa à peine tomber un léger blâme sur la prétention énoncée par les Français, de mettre en dehors de toute discussion celles de leurs conquêtes dont il leur avait plu de décréter la réunion à la république ; c’est contre le cabinet britannique qu’il dirigea toutes les foudres de son éloquence. Il l’accusa d’avoir trop différé cette tentative de négociation, de n’y avoir porté aucune bonne foi, de s’être ôté d’avance toute chance de succès en ne reconnaissant pas immédiatement la république française et en ne donnant pas de pleins pouvoirs à Wickham. Il essaya de prouver qu’un changement de ministère pouvait seul tirer le pays de la situation déplorable où on l’avait fait tomber, et il proposa à cet effet une résolution formelle. Pitt réfuta triomphalement ces sophismes si peu dignes du patriotisme de Fox, qui trouva à peine dans la chambre quarante-deux voix pour appuyer sa proposition.

Tandis que Fox reprochait ainsi à Pitt de prolonger volontairement les désastres de la guerre, le ministère était en butte, d’un autre côté, à des inculpations tout opposées. Les amis de Burke, ceux du moins qui ne s’étaient pas entièrement confondus dans les rangs du parti ministériel, s’irritaient de voir la Grande-Bretagne rechercher une paix fondée sur la reconnaissance du régime révolutionnaire. Burke lui-même publiait ses fameuses Lettres contre la paix régicide, empreintes d’une si amère et si douloureuse indignation. Peut-être ne trouve-t-on dans aucun de ses ouvrages, dans aucun de ses discours, une exposition plus complète de ses opinions sur la direction qu’on eût dû imprimer à la guerre. Il fallait, disait-il, proclamer hautement qu’on séparait la nation française de son gouvernement ; il fallait que les puissances, dans une sainte alliance contre le jacobinisme, missent de côté toute pensée de conquête, toute préoccupation particulière, que l’Angleterre surtout renonçât à ses inutiles expéditions au-delà des mers, et qu’on réunît toutes les forces