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provocations au régicide et au brigandage. Les bills furent votés par les deux chambres à d’immenses majorités.

L’exagération révolutionnaire avait produit, comme il arrive toujours, une réaction violente dans le sens opposé. Aux pamphlets, aux journaux républicains répondaient d’autres pamphlets dont la pensée semblait remonter aux plus mauvais jours des Stuarts. Arthur Young osa imprimer que l’inégalité de la représentation, les bourgs-pourris, les prodigalités de la cour, l’égoïsme des ministres, les majorités serviles et corrompues, n’étaient pas, comme on le prétendait, des abus auxquels il fallût porter remède, qu’on ne devait pas même les considérer comme de purs accidens liés à la liberté pratique du pays, mais bien comme la cause efficiente de cette liberté. John Reeves, celui que nous avons vu organiser, trois ans auparavant, avec l’assentiment du ministère, ces associations loyales destinées à combattre l’action des sociétés démocratiques, John Reeves publia un écrit dans lequel il posait en axiome que, les chambres étant de simples branches de la constitution et le monarque étant le tronc dont elles tiraient leur force et leur nourriture, elles pourraient être retranchées sans que l’arbre cessât d’exister. Cette assertion était trop hardie pour qu’on pût la tolérer, et l’opposition y trouva un texte spécieux de récriminations dont elle s’empressa d’autant plus de tirer parti que les rapports connus de Reeves avec le gouvernement devaient faire en quelque sorte remonter jusqu’au cabinet les coups dont on parviendrait à le frapper. Sheridan proposa à la chambre des communes de déclarer que cet écrit était un libelle scandaleux contre la glorieuse révolution de 1688, qu’il tendait à créer des dissensions entre les sujets du roi, à les détacher de la forme actuelle du gouvernement, à renverser les principes de la constitution, et qu’il violait les privilèges de la chambre. Des débats très animés suivirent cette proposition. Reeves, fort maltraité par les orateurs de l’opposition, trouva à peine quelques défenseurs. Windham, après avoir rappelé les services qu’il venait de rendre à la cause de la monarchie, et qui l’avaient exposé aux ressentimens dont on voyait en ce moment l’explosion, essaya de prouver que ses doctrines pouvaient être interprétées dans un sens favorable, et, en tout cas, ne dépassaient pas les limites de ces théories dont l’examen doit être permis dans un pays libre. Pitt ne fut pas de cet avis. Avec cette admirable modération d’esprit qui ne lui a presque jamais manqué, il comprit qu’au risque de procurer à ses adversaires l’apparence d’un triomphe momentané, le gouvernement devait repousser bien loin de lui la responsabilité de doctrines plus qu’imprudentes dont, tôt ou