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un succès éclatant pour l’opposition et contrista beaucoup les amis du pouvoir.

Les évènemens survenus depuis la clôture de la précédente session laissaient assez prévoir quelle tâche pénible le ministère aurait à accomplir dans celle qui allait s’ouvrir. Le parlement se réunit l’avant-dernier jour de l’année. Le discours du trône était conçu dans la pensée de ranimer l’esprit public ébranlé par tant de désastres. On y exhortait la nation à redoubler d’efforts pour les réparer, on y énumérait complaisamment le petit nombre d’évènemens heureux qui en avaient interrompu la continuité, les succès maritimes, l’acquisition de la Corse, un traité de navigation et de commerce récemment conclu avec les États-Unis, et par lequel ils avaient reconnu les principes anglais au sujet des droits des neutres. Un projet d’adresse absolument conforme au discours royal, proposé suivant l’usage par un membre ministériel, devint, à la chambre des communes, l’occasion d’un débat qui prouva que, sur la plus grande question du moment, la division commençait à s’introduire dans les rangs de la majorité. Wilberforce, dont la pieuse philanthropie avait pu se résigner à la guerre tant qu’il y avait vu le seul moyen d’arrêter le débordement de l’anarchie sanglante, de l’immoralité et de l’athéisme professés par les jacobins, commençait à ne plus la croire nécessaire en présence de la situation nouvelle qui s’était produite. Uni à Pitt par une tendre affection, il lui en coûtait de contrarier sa politique ; mais une telle considération n’était pas de nature à régler la conduite d’un homme accoutumé à écouter uniquement en toute occasion les inspirations de sa conscience. Il combattit donc le projet d’adresse, parce que les idées qui y étaient exprimées lui paraissaient engager le pays à continuer les hostilités jusqu’à ce qu’on fût parvenu à amener en France une contre-révolution ; et il proposa, par amendement, de déclarer au roi que, dans l’opinion de la chambre, il serait à propos de négocier la paix aux conditions que la sagesse et la bonté royales trouveraient convenables. Une telle déclaration eût été bien prématurée, et les motifs si purs qui en inspiraient la proposition à Wilberforce font plus d’honneur à son cœur qu’à son sens politique. Ils n’en étaient que plus propres à entraîner un certain nombre d’esprits honnêtes, timides, prompts à se décourager et disposés par nature à accueillir avec faveur, dans les grandes crises, toute idée qui se présente sous les couleurs de la modération. Aussi vit-on plusieurs de ces propriétaires campagnards, si dociles ordinairement à la voix de Pitt, adhérer avec empressement à