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exercé était gravement compromis. Il sentit la nécessité de se fortifier en introduisant dans son ministère des élémens nouveaux qui le présentassent aux yeux du pays comme investi d’un surcroît de force morale. Les chefs de cette portion aristocratique du parti whig que l’effroi de la révolution française avait depuis deux ans séparée de l’opposition, mais qui, tout en appuyant le gouvernement, avait jusqu’alors refusé d’y participer, sacrifièrent enfin à l’intérêt public les scrupules d’une délicatesse exagérée. Le duc de Portland remplaça au département de l’intérieur Dundas, pour qui on rétablit l’office, jadis supprimé, de secrétaire d’état des colonies. Le comte de Fitzwilliam devint président du conseil, le comte de Spencer gardien du sceau privé, poste qu’il échangea bientôt après contre celui de premier lord de l’amirauté, dans lequel il succéda au comte de Chatham, frère aîné de Pitt. Enfin Windham fut nommé secrétaire de la guerre avec siège dans le cabinet. Burke, leur maître et leur oracle, resta en dehors de l’administration ; il avait déclaré depuis long-temps qu’il n’accepterait plus de fonctions publiques.

Cette modification ministérielle, publiée au commencement du mois de juillet, au moment où la session du parlement allait se terminer, fut vivement attaquée, le jour même de la clôture, par l’impétueux Sheridan, qui accusa les nouveaux ministres d’inconséquence et d’apostasie. Pitt défendit avec beaucoup de fierté et de noblesse une coalition fondée, non plus sur des combinaisons de coteries et sur des intérêts de détail, mais sur la volonté de protéger en commun la liberté, la propriété, la sécurité de l’Angleterre et de chacun de ses enfans, si directement menacées. Répondant aux censures que Sheridan avait dirigées contre la politique extérieure du gouvernement, il protesta que ce n’était pas à la France qu’on faisait la guerre, mais bien au jacobinisme, dont elle était la première victime, et que ni quelques revers, ni quelques mécomptes, ni les torts de quelques-uns des alliés, ne le décourageraient au point de lui faire déserter la grande tâche qu’il avait entreprise.

Ce langage était ferme. Le cabinet, tel qu’on venait de le reconstituer, semblait en effet devoir porter dans la conduite des affaires extérieures un redoublement d’énergie. Les amis de Burke, convaincus de bonne heure de la formidable puissance de la révolution française, eussent voulu que tous les efforts du gouvernement britannique tendissent à l’étouffer avant qu’elle fût devenue irrésistible, qu’on dirigeât vers ce but unique toutes les ressources de l’alliance, et qu’on fit de la restauration du trône des Bourbons l’objet