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que le comte de Provence, l’oncle de Louis XVII, qui prenait le titre de régent au nom de son neveu enfant et captif, vînt établir dans la ville insurgée un gouvernement auquel beaucoup de mécontens eussent pu se rallier. La Prusse et la Russie ne cachaient pas le mécontentement que leur inspirait la politique égoïste dont l’Autriche et l’Angleterre donnaient de si tristes preuves : leur langage était plus conforme à l’esprit, au but apparent de la coalition ; toutefois sous ces dehors spécieux, il n’était pas difficile de s’apercevoir qu’elles ne portaient à l’accomplissement de l’œuvre commune ni plus de loyauté ni plus d’activité réelle. La Russie, prodigue de paroles, d’excitations, de promesses, bornait son concours effectif à l’armement d’une escadre qui croisait dans la Baltique et la mer du Nord pour aider l’Angleterre à intercepter le commerce de la France avec la Suède et le Danemark. La Prusse, naguère si animée contre la France, ralentissait déjà son action, ou plutôt la portait d’un tout autre côté. De concert avec la Russie, elle occupait militairement la Pologne ; sous prétexte d’y rétablir la tranquillité, elle aidait le cabinet de Saint-Pétersbourg à y renverser la constitution de 1791, qui avait soustrait pour quelques instans les malheureux Polonais à leur anarchie séculaire. Par une détestable hypocrisie, les deux cours, au moment même où elles enlevaient à la Pologne cette seule et dernière ancre de salut, où elles préparaient ainsi sa ruine définitive, se vantaient dérisoirement de la pacifier en étouffant dans son sein l’esprit révolutionnaire importé de France, et elles ne tardèrent pas à consommer cette œuvre d’iniquité en s’emparant d’une partie considérable des provinces polonaises, sous prétexte de garantir leur propre territoire contre la contagion de désordres préparés par de perfides machinations. Tel est le spectacle que présentait l’Europe monarchique dans un moment où l’union la plus intime, les plus grands efforts de courage et de génie, l’appel le plus énergique à tous les sentimens de morale et d’honneur n’eussent pas été de trop pour conjurer les périls dont elle était menacée.

Dans cette terrible crise, le cabinet de Londres ne fit pas preuve de la rare habileté qui avait marqué jusqu’alors toute la carrière de Pitt. Surpris par des évènemens qui étaient, il est vrai, sans exemple dans l’histoire, ce ministre ne sut pas en apprécier la portée. Il ne vit dans la révolution française que ce qu’elle avait d’odieux, de violent, d’irrégulier. Il ne put se persuader qu’une résistance soutenue par des moyens étrangers à la civilisation et à toute science politique se prolongeât beaucoup. En voyant la convention prodiguer sans choix, sans mesure, toutes les ressources du pays, dépenser en quelque sorte son