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aux lecteurs combien dans ses peintures M. Hugo pousse les choses à l’extrême ; avec lui, point de nuances soit dans les images, soit dans les pensées. Tout est colossal, prodigieux : la prose ne nous sauve pas du fantastique. Qu’un poète lyrique invoque souvent dans ses odes le nom de Dieu, c’est son droit, c’est son office ; mais quand on voyage, quand on raconte à un ami des scènes d’auberge et de grande route, on pourrait oublier ces grands mots et ces ambitieux élans. A Sainte Ménéhould dans la cuisine de l’hôtel de Metz, M. Hugo aperçoit suspendue au plafond une petite cage où dort un petit, oiseau. Il se complaît à décrire sa sécurité au milieu des hommes qui jurent, des femmes qui querellent, des chats qui miaulent, des bouteilles qui sanglotent, de la lèchefrite qui piaille, etc., etc. ; puis il ajoute : Dieu est adorable, il donne la foi aux petits oiseaux. A trois pages de distance nous voyons le poète contemplant un télégraphe qui figure des signes et s’écriant : « Tandis que cette machine faisait cela, les arbres bruissaient, l’eau coulait, les troupeaux mugissaient et bêlaient, le soleil rayonnait à plein ciel, et moi je comparais l’homme à Dieu. » Sans multiplier davantage les citations, disons seulement qu’il faut prendre pour règle littéraire ce précepte du Décalogue : Tu n’invoqueras pas le nom de Dieu en vain.

Décrire le Rhin n’est pas chose nouvelle ; c’est ce qu’ont fait vingt touristes allemands et anglais. Nous ne parlons pas des guides, des manuels qui viennent, s’offrir à la curiosité du voyageur. Il n’est pas dans le cours du Rhin un accident pittoresque, sur ses rives un site, une ruine, qui n’ait eu sa description et son histoire. La correspondance de M. Victor Hugo ne pouvait donc nous promettre de nous livrer des faits peu connus ; néanmoins elle avait un véritable attrait pour nous. Comment cette puissante imagination avait-elle représenté des lieux et des choses que nous avions souvent parcourus et admirés ? En suivant encore une fois le cours du Rhin, flumina nota, sous la conduite de M. Victor Hugo, nous avons pu reconnaître que souvent ses peintures n’étaient pas inférieures à la beauté du spectacle, surtout quand le poète était en face des grandes ruines qui, décorent le fleuve. M. Victor Hugo est vraiment le poète de l’architecture ; tout ce qui est pierre, monument ou ruine, l’inspire au plus haut point. Devant les vieilles cathédrales du Rhin, l’auteur de Notre-Dame de Paris s’est retrouvé tout entier.

Les témoignages et les débris de l’histoire parlent plus vivement à l’esprit du poète que la nature elle-même, non que M. Hugo n’ait de grands traits et parfois de charmans détails pour peindre les montagnes, les fleuves, la lumière des cieux, le calme des nuits, mais on le