Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui le motif d’un drame, et il compose les Burgraves. Là nous sommes à l’apogée du lyrisme. Le poète s’échauffe tellement dans sa propre pensée, qu’il oublie toutes les conditions du drame et de l’histoire. Que chacun interroge ses souvenirs à la représentation des Burgraves, qu’il se rappelle la vive admiration dont il fut rempli par de saisissantes beautés, et l’étonnement douloureux que lui firent éprouver de tristes aberrations. Il était également impossible de ne pas admirer les élans lyriques et de ne pas condamner le drame ; mais comme le théâtre n’est pas institué pour retentir d’une ode en cinq actes, la foule s’est prononcée pour un blâme sévère, et nous avons vu dans cette dernière lutte le poète, cet autre Titan, vaincu non par telle ou telle cabale mais par la force et la nature des choses.

Au fond, M Victor Hugo sait fort bien lui-même que, s’il n’a pas remporté au théâtre tous les triomphes qu’il méditait, il doit s’en prendre à son lyrisme indélébile ; et comme il ne peut se changer, il entreprend, lorsque l’occasion se présente, de persuader aux autres que le lyrisme constitue la plus grande partie du drame. Il y a trois mois, au sein de l’Académie française, M. Hugo, en recevant M. Sainte-Beuve, louait Casimir Delavigne d’avoir été tout ensemble un poète lyrique et un poète dramatique. Il prétendait que dans ses tragédies, comme chez tous les grands poètes dramatiques, on sentait à chaque instant passer le souffle lyrique. Or, si l’on excepte le Paria, il n’y a pas une pièce de Delavigne où ce souffle lyrique soit sensible ; mais M. Victor Hugo avait ses raisons pour lui en faire honneur. Il voulait tracer sa propre poétique, et la mettre pour ainsi dire sous la consécration de l’Académie. Cette poétique, M. Hugo l’a rédigée en des termes que nous citerons textuellement : « Disons-le à cette occasions, le côté par lequel le drame est lyrique, c’est tout simplement le côté par lequel il est humain. C’est en présence des fatalités qui viennent d’en haut, l’amour qui se plaint, la terreur qui se récrie, la haine qui blasphème, la pitié qui pleure, l’ambition qui aspire, la virilité qui lutte, la jeunesse qui rêve, la vieillesse qui se résigne ; c’est le moi de chaque personne qui parle. Or, je le répète, c’est là le côté humain du drame. Les évènemens sont dans la main de Dieu, les sentimens et les passions sont dans le cœur de l’homme. Dieu frappe le coup, l’homme pousse le cri. Au théâtre, c’est le cri surtout que nous voulons entendre. » En elle-même, nous ne croyons pas cette théorie juste ; puis, il nous paraît merveilleux qu’elle, nous soit présentée par un poète qui prétend enrichir notre littérature du drame éminemment moderne.

Il est vrai que chez les anciens le lyrisme tient une grande place