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té senti que par quelques ames se trouve communiqué à la foule. Cette faculté précieuse peut sans doute être perfectionnée par l’étude, mais la nature seule la donne. A vingt ans, M. Victor Hugo dans ses odes une verve ardente et naïve ; il était naturel alors ; une inspiration irrésistible lui dictait des chants nouveaux et hardis. Le spectacle de la France révolutionnaire remise un moment sous le sceptre de ses anciens rois, la fermentation des idées, les vieilles croyances ébranlées par l’examen et le doute au moment où elles paraissaient triompher, puis, sur plusieurs points de I’Europe, des cris de liberté, des insurrections tragiquement comprimées, tout cela remuait l’ame du poètes et lui arrachait de pathétiques accens. Alors M. Victor Hugo, s’adressant aux rois qu’il comparait aux premiers chrétiens faisant leur dernier repas, le repas libre, la veille de leur supplice, s’écriait :

O rois, comme un festin s’écoule vôtre vie !
La coupe des grandeurs, que le vulgaire envie,
Brille dans votre main ;
Mais au concert joyeux de la fête éphémère
Se mêle le cri sourd du tigre populaire
Qui vous attend demain.


Dix ans plus tard le poète aura pour le peuple d’autres pensées et d’autres images.

Les odes de M. Victor Hugo sont, au milieu de ses autres œuvres, l’expression la plus sincère de cette nature si profondément poétique. Le style de ces odes est presque toujours admirable par sa précision, et il arrive aux plus grands effets avec une allure simple et forte. Notre langue poétique doit aussi à l’auteur des Orientales un coloris dont personne ne l’avait encore revêtue. Dans les Orientales, le poète a souvent désintéressé son ame pour laisser son imagination, et les vives couleurs que prodigue le poète ressortent d’autant plus qu’elles rayonnent dans un cadre plus étroit.

Telle est, en effet ; l’excellence de la forme lyrique, qu’elle règle et contient la forme même dont elle provoque l’expansion. Dans l’ode, si elle est composée par un grand artiste, la prolixité n’est pas possible. Quand les pensées et les images, puissamment accumulées par la réflexion, cette conscience de l’inspiration, ont été déroulées avec une industrie savante, un instinct sûr avertit le poète que l’œuvre est finie, et une cherche pas à la prolonger. Pourquoi des sons inutiles et faibles ? Il y a d’autres genres de poésie où le talent même est plus exposé à tomber dans la diffusion, comme l’épître, la méditation philosophique ; nous en avons la preuve dans quelques ouvrages de M. Victor Hugo, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres, où