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d’homme d’état ; je le crois complètement et naturellement whig, ainsi qu’il était naturel chez un seigneur campagnard qui ne devait rien aux rois précédens, et dont toute l’espérance se concentrait dans une intime association avec le régime nouveau. Ses rustiques habitudes le constituaient d’avance whig de la meilleure espèce. Voilà ce que comprenaient fort bien ses alliés et ses amis ; ils le portaient dans leur cœur et le couvaient de leur pensée, et lui les défendait avec constance, prévoyance et habileté contre leurs adversaires.

Ces derniers n’étaient point méprisables. De 1721 à 1727, il eut à déjouer ou à renverser le plus éloquent, le plus intrigant et le plus spirituel de ses contemporains : l’évêque Atterbury, qui conspirait ouvertement ; son rival Bolingbroke, de retour en Angleterre et qui voulait le supplanter, et le doyen Swift, qui ameuta l’Irlande contre le ministre. On ne se tire pas mieux d’un triple danger ; Robert ne tua personne. Il exila Atterbury, releva de la dégradation et du bannissement Bolingbroke, condamné à mort, qu’il exila du pouvoir en lui donnant la vie, et laissa Swift jouer l’O’Connell en pure perte. Atterbury alla en France écrire et parler contre Robert ; Bolingbroke passa dix années à déchirer son rival, et Swift expira en le maudissant. Robert, vainqueur, subit en riant les attaques de ces trois plumes enragées ; le Craftsman de Bolingbroke, le Drapier de Swift, les lettres particulières d’Atterbury, décidèrent de sa réputation définitive. Il les valait tous en moralité, ce qui est peu de chose, et les battait en fait de tactique, ce qui est beaucoup. L’unique imprudence de sa vie, fut de compter pour trop peu le redoutable talent d’écrire. Son règne se renfermait dans le présent ; il avait assez à faire de se démêler au milieu de tant d’intrigues et d’y régner. George Ier meurt en 1727. Un nouveau monarque ouvre à Walpole une nouvelle carrière. La merveille de sa conduite politique et le chef-d’œuvre de sa ruse, c’est qu’il resta premier ministre à la mort de George Ier. Il avait réussi auprès de ce dernier roi par la flatterie, auprès des communes par la captation, auprès des jacobites par la terreur. Il s’agissait de se maintenir sous George II, qui exécrait George Ier son père, et n’eut rien de plus pressé que de renverser ce qu’avait fait son prédécesseur. Tout le monde désertait Robert comme un homme qui va périr. « Vous voyez bien, disait-il à son secrétaire Coxe, la porte de mon hôtel : il n’y a pas une voiture aujourd’hui ; demain, la cour sera remplie d’équipages. » La prédiction s’accomplit.

Tout le détail de la comédie qui conserva le pouvoir à Robert dans ce moment de crise, et qui déjoua ses ennemis, se développe avec