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propre. » Quelques-unes des lettres contenues dans les derniers recueils de la vaste correspondance d’Horace Walpole représentent fort bien la bizarrerie de la situation. « Le roi, dit l’une d’elles, se grise de bière avec l’honorable Mât-de-Cocagne, pendant que Robert, à trois heures du matin, debout devant la chambre des communes, rejette les Stuarts à deux cents lieues. » Il lui fallait se démêler comme il pouvait, au milieu de cette cour vénale et allemande, où l’Éléphant et le Mât-de-Cocagne dominaient tour à tour, et où le roi ne valait pas mieux que ses subordonnés. Un comte Bernsdorf, un baron Bothemar, un Robethon, pillaient à qui mieux mieux, du consentement du roi lui-même. On jugera cette cour par une anecdote qu’Horace a insérée dans ses Réminiscences. « Pourquoi me demandez-vous votre congé ? disait George à un chef de cuisine qui voulait retourner dans son pays. — Sire, on vole trop ici. Dans votre électorat, nous étions si économes ! -Bah ! bah ! reprit George, c’est l’argent des Anglais ; je suis riche maintenant, et à même de suffire à ces dépenses. Vole comme les autres… Et, se reprenant avec de grands éclats de rire : Fais ta part bonne, va ! ne te gêne pas. »

On comprend qu’un ministre dont les premières armes se sont faites en tel lieu, n’ait pas pu garder, et surtout n’ait point semblé garder une pureté immaculée ; le renom de Socrate n’y eût pas résisté. Il s’en embarrassait assez peu, il faut en convenir. Il sentait que toute sa puissance serait dans l’obéissance de son parti, et il commença la double manœuvre qui lui réussit vingt ans de suite : flatter le roi et se faire obéir des siens.

En effet, l’athlète unique de cette royauté représentée par un si triste roi, c’était Robert Walpole, et personne ne s’y trompait. Il s’était voué corps et ame au succès du combat. On essaya plusieurs fois de l’assassiner. Un jour, Robert montait les marches de la chambre des communes ; la foule se pressa et se serra contre lui pour l’étouffer ; comme il résistait fort bien, grace à la corpulence musculeuse qui le distinguait, un des hommes de l’émeute voulut l’étrangler dans son manteau, dont les attaches cédèrent à la violence du mouvement et se brisèrent. Non-seulement il survécut à toutes ces épreuves et traversa cette terrible époque, mais il en régla les mouvemens, dirigea le gouvernail de la dynastie hanovrienne, rétablit le commerce, et donna la prépondérance à son parti. Si Robert Walpole n’était pas d’un extrême scrupule dans la vie privée, il avait la fidélité politique ; ses mœurs irrégulières ressemblaient fort à celles de Shaftsbury, de Bolingbroke et plus tard de Fox, mais je ne doute pas de sa conscience