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de lui dix mille palicars macédoniens. Les Slaves de Bulgarie s’insurgeaient en même temps, en nombre beaucoup plus considérable, et secrètement soutenus par la Serbie. Il n’y avait pas jusqu’à la république de Samos qui ne se levât aussi en armes contre la Porte. Au milieu de ce déluge de révoltes, c’en était fait de la domination turque dans les trois provinces d’Épire, de Thessalie et de Macédoine, si les grandes puissances eussent laissé faire les Hellènes.

Cependant de tous les cabinets d’Europe, le seul cabinet français semblait encore pencher pour la Grèce. Aussi, se détournant avec désespoir des diplomates russes et anglais, les Grecs ne pensaient qu’à la France. Dès octobre 1841, les journaux de Malte signalaient la sympathie fougueuse avec laquelle les Péloponésiens, accourus de toutes parts, avaient serré la main des matelots français quand l’amiral Hugon était venu jeter l’ancre devant Nauplie. Les feuilles athéniennes, après de magnifiques éloges de la France en face du traité Brunov, ne voyaient pour l’avenir de leur pays qu’une intime alliance avec la grande nation contre l’Angleterre et la Russie, qui sans contrainte ne laisseront jamais s’agrandir l’Hellade. Vainement aux cris de guerre de son peuple la cour répondait qu’il fallait attendre, que la fixation des frontières du royaume était une question européenne dont la solution n’appartenait qu’aux grandes puissances ; qu’arbitres souverains de l’Orient, et de l’Occident, elles sauraient bien tôt ou tard rendre justice aux Hellènes. Manquant de l’appui des faits, ces raisonnemens étaient sans force sur l’imagination populaire, qui finit par s’enflammer à un tel point, que la cour elle-même parut un moment entraînée, à la guerre et prête à envoyer sa flotte au secours des Crétois. Le génie de 1821 sembla se réveiller, tout prêt à faire renaître les prodiges d’héroïsme de la guerre des neuf ans. Les journaux sommaient le ministère d’organiser partout l’ethnophilaki (garde nationale), sans en excepter aucun homme vigoureux de seize à quarante-cinq ans, et en laissant cette milice nommer elle-même, comme en France, ses propres officiers. La Grèce, disait-on, défendue par les mille gorges de ses montagnes et par les innombrables écueils de ses mers, est une forteresse naturelle. Si elle a contre elle la coalition anglo-russe, la France du moins lui reste amie, et la grandeur de la lutte, en exaltant les ames, ne tardera pas à faire renaître des Cimon, des Miltiade, des Épaminondas.

Les choses en étaient à ce point lorsque le cabinet français crut devoir marquer sa rentrée dans le concert européen et regagner les faveurs de l’Angleterre par le désaveu formel de l’agitation hellénique. Aussitôt la diplomatie anglo-russe, qui n’attendait que ce signal, lança l’anathème contre les raïas rebelles au sultan. Des frégates anglaises allèrent bloquer la Crète, et les chefs des insurgés durent s’embarquer à bord des vaisseaux britanniques, laissant leur patrie en proie aux musulmans. Un sort analogue atteignit Karatasso au mont Athos, et Velentsas en Thessalie. Tous deux durent repasser clandestinement en Grèce. Ne pouvant échapper aux poursuites de la police dans sa retraite de Menidi, près d’Athènes, Velentsas s’enfuit sous