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saurait donc rendre le cabinet d’Athènes responsable des irruptions que des troupes de palicares parties de son territoire feraient en pays turc, pas plus que le cabinet grec ne songe à demander compte à la Porte des ravages que les klephtes musulmans de l’Êpire et de la Macédoine, quelquefois au nombre de cinquante à cent hommes, viennent à certaines époques exercer en Acarnanie et en Phtiotide. Un tel état de choses est la conséquence nécessaire des frontières où l’on a prétendu emprisonner la Grèce. L’impuissance où elle est d’y rester fait que de part et d’autre il y a effort violent pour les franchir, les Turcs aspirant à reprendre leur ancienne conquête, et les Grecs s’efforçant d’étendre le royaume jusqu’aux limites de leur langue.

C’est à cette disposition’ des esprits, et non pas exclusivement, comme on l’a prétendu, aux intrigues moscovites, qu’il faut attribuer la naissance et le développement, malgré les plus vives persécutions, de l’étairie philorthodoxe. Cette puissante association, devant laquelle le gouvernement grec a dû plus d’une fois reculer, compte parmi ses chefs des hommes d’un patriotisme trop incontestable et d’un libéralisme trop éclairé pour qu’on puisse sans aveuglement accuser les philorthodoxes de vouloir le règne du tsar. Sans doute ils ont pour eux l’appui secret de la Russie. Pourquoi ? Parce que, agitant à la fois la Turquie et la Grèce, ils empêchent l’empire croulant des Osmanlis de se raffermir, et le royaume d’Athènes de s’asseoir humblement dans ses limites actuelles. Espérant tirer pour lui-même profit de l’agitation, le cabinet russe soutient les agitateurs, parce qu’ils veulent, comme lui, changer l’état de l’orient ; mais, d’accord pour renverser, les Grecs et les Russes ne s’entendent plus pour reconstruire. L’étairie philorthodoxe compte bien ne faire servir l’appui des Russes qu’à l’exécution qu’à l’exécution de son propre plan. C’est pourquoi il sera toujours facile à la France et à l’Angleterre de déjouer par leur bon accord toutes les intrigues de la Russie parmi les Grecs, comme on en a vu un éclatant exemple dans la révolution de 1843. Si cet accord partiel des deux grandes puissances d’Occident avait pu avoir lieu deux ans plus tôt, les philorthodoxes auraient probablement, dès 1841, mis fin à la question des frontières entre la Turquie et la Grèce.

Le fameux traité Brunov, qui venait d’exclure la France du concert européen, fit alors espérer aux Hellènes que le cabinet français aurait le courage de rester dans son isolement, et, comptant sur un appui au moins tacite de sa part, ils ne balancèrent pas à recommencer la guerre. Les réfugiés crétois quittèrent Athènes, et, conduits par leur compatriote Chaeretis, ils débarquèrent sur les côtes de la Crète, qui répondit à leur appel par une insurrection générale. Un Thessalien des montagnes de Volo, au service d’Othon, Velentsas, repassa, de même en Thessalie, avec sa phalange de palicars, portant des armes et des munitions aux raïas. Enfin un capitaine roméliote, le jeune Karatasso, ayant rassemblé dans le Péloponèse une centaine de braves, s’embarqua avec eux pour la Macédoine, et aborda sur l’isthme qui unit le mont Athos à la terre ferme. S’étant retranché dans cette position facile à défendre pour qui s’appuie sur la mer, il eut bientôt autour