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les autres n’en montrent que plus d’audace dans leurs projets d’invasion de la frontière ottomane.

La question des frontières turco-grecques est plus qu’une question de territoire, c’est une question de nationalité, c’est, on peut le dire, la partie vitale dans le grand problème de l’avenir de l’Orient, et il ne sera donné ni à Coletti, ni à ses protecteurs, d’empêcher ce débat d’arriver à sa solution. Dans les provinces épiro-thessaliennes, il y a une incompatibilité morale absolue entre les gouverneurs et les gouvernés. La noble race grecque sent de plus en plus qu’elle n’a point été créée pour servir l’Osmanli, et qu’en acceptant ce joug honteux comme un fait accompli, elle se renierait, elle se suiciderait elle-même. Il faut donc ou intervenir diplomatiquement en faveur des Grecs, ou s’attendre à voir recommencer bientôt dans les gorges de l’Hémus et de l’Olympe de sanglans combats entre les deux races hellène et ottomane. Le principe de l’intégrité de la Grèce est tout aussi juste, et qui plus est aussi nécessaire à l’équilibre européen que l’intégrité de l’empire turc. Le système qui demande une Grèce forte et indépendante a même précédé dans l’opinion de l’Europe l’idée du maintien de la Turquie. Ce n’est pas pour avoir cette Grèce impuissante et mutilée, garantie par les protocoles de Londres, que l’Europe libérale, et principalement la France, ont fait tant de sacrifices. Il faut même dire, à l’honneur du cabinet français, qu’il paraît n’avoir jamais abandonné l’espoir de contribuer à remettre sous le sceptre hellénique l’ spire et la Thessalie. Les raïas grecs du moins en sont convaincus, et la certitude que des conférences ont lieu en leur faveur entre les deux cabinets de Londres et de Paris leur donne seule la patience d’attendre. Enfin, les Turcs de la Thessalie eux-mêmes se regardent comme destinés à payer un jour tribut au kral de la mer blanche (au roi grec), et cette idée les frappe d’un tel découragement, qu’ils négligent entièrement d’entretenir leurs demeures, et ne perdent aucune occasion de vendre, fût-ce au plus bas prix, les terres que leur ont léguées leurs aïeux. Θελσρεν το ρωμαιχο, nous voulons l’héllénisme, tel est le cri que ne cessent de répéter les paysans de la vallée de Tempé aux pâtres de l’Agrafa, et les paisibles marchands de Janina et de Larisse aux Méplates de l’Olympe. Pour réprimer cet élan national, la diplomatie européenne se reposerait en vain sur l’accord des deux cabinets d’Athènes et de Constantinople. Ces deux cabinets sont aussi impuissans l’un que l’autre à réprimer chez les populations qu’ils gouvernent toute manifestation qui aurait pour elle la majorité.

Avec son faible budget, l’état grec est d’ailleurs dans l’impossibilité d’entretenir des forces militaires capables de fermer assez hermétiquement les frontières pour empêcher les mécontens des deux pays de se prêter un mutuel secours. Quelque anti-nationale qu’on supposât l’administration de la Grèce, et fût-elle appuyée par un budget quintuple de celui qui la soutient aujourd’hui, elle ne pourrait empêcher les patriotes en-deçà et au-delà des frontières de conspirer ensemble pour l’agrandissement de leur patrie. On ne