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montraient des lettres, et ceux qui ne le savaient pas faisaient semblant. Point de plan arrêté, de but fixe, d’idée nette. Chacun allait et venait, entretenait des correspondances, se croyait un grand personnage, parlait bas à l’oreille du voisin, et ne doutait pas du succès. Il n’y avait pas une face irlandaise qui, dans son activité physionomique, ne portât la grimace du triomphe. Personne n’imaginait qu’une dynastie hanovrienne viendrait à bout de l’Angleterre et de tant d’intérêts combinés. »

Telles furent les circonstances qui escortèrent l’accession de Robert Walpole au pouvoir. En sa qualité de whig déterminé, de martyr politique et d’excellent debater, il fut nommé d’abord payeur-général, puis chancelier de l’échiquier et premier ministre (first lord of the treasury) : il touchait le terme de son ambition ; mais l’armée qui marchait sous ses ordres ne lui paraissait pas assez disciplinée, assez unie. Il savait combien de force on acquiert par la résistance, et que le grand défaut de l’espèce humaine, qui est la lâcheté, lui donne toujours du respect pour qui la brave. Aussi, dès l’année 1717, le voit-on remettre aux mains du roi les sceaux de grand-chancelier, et la scène que rapporte Horace Walpole, d’après une lettre autographe de son oncle, frère cadet de Robert, mérite tout-à-fait d’être rapportée.

« Au premier symptôme d’indiscipline, mon père remit entre les mains de George le bâton du commandement, comptant bien le reprendre lorsque sa troupe serait revenue au devoir. La scène fut violente et longue. Perdre Robert Walpole, c’était, pour le monarque, perdre le bouclier et la lance. On se fâcha ; les sceaux que le ministre s’obstinait à ne pas garder furent replacés « dans le chapeau de Walpole, » de la main même du monarque ; mais le réfractaire sortit du cabinet royal, le visage ardent, des larmes dans les yeux, et parfaitement hors de lui-même. » Il avait violemment arraché le droit de donner sa démission, le droit d’être maître.

Le roi l’envoya chercher le lendemain, le pria, le supplia, mais sans succès. Robert ne revenait guère sur un parti pris, et cet homme dont on a voulu seulement faire une espèce de serpent et d’Ulysse, avait autant de volonté que de ruse. Peu de jours auparavant, un jacobite qu’il avait reçu secrètement se leva tout à coup, et, mettant la main dans son gilet, lui dit : — « Je ne sais pas pourquoi je ne vous tue pas ? — Parce que je suis plus jeune et plus fort que vous, » lui répondit Walpole en se levant aussi. — Ils se rassirent et causèrent fort tranquillement.

Jusqu’en 1720, les partisans du prétendant continuèrent de s’agiter,