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de George III, une demi-justification de Robert, une accusation contre Chatham, une anecdote, un fait, une lettre ; un bras, une jambe, puis le corps tout entier. Walpole craint l’avenir, et ce pauvre homme, qui n’est que cendres, voudrait encore nous cacher sa pensée ; il ne livre que par lambeaux les observations qu’il fit de son vivant, tant il a peur des hommes. D’où lui vient cette peur ? De ce qu’il a connu les choses humaines de trop bonne heure. C’est le fils d’un ministre d’état.

Revenons à Robert et à ses maîtres, ou plutôt à ses commis royaux, George Ier et George II. Voyons un peu, grace à Horace, comment, pendant le tiers d’une vie bien remplie, il fit marcher sous sa baguette le roi, la cour, les pairs, les communes de l’Angleterre. George Ier, le chef de cette race insignifiante qui n’empêcha point l’Angleterre de devenir maîtresse des mers, était un Stuart allemand, petit-fils de la charmante Élisabeth, reine de Bohème et fille unique du pédant Jacques Ier. Il avait quelque chose de ces deux races ; mais, s’il était entêté comme Marie Stuart et violent comme elle, il n’avait pas cet esprit romanesque qui perdit Charles Ier, Jacques II et leur grand’ mère : il était passionné à sa manière, cruel même et abominable sous des apparences de bourgeoisie sans façon. Le peuple anglais, qui s’était trop avancé pour reculer, qui voulait le protestantisme et demandait à grands cris la ruine de la monarchie de Louis XIV, se contenta de lui. Le plus horrible monstre lui eût convenu, pourvu qu’il fût protestant et ennemi de la France. George Ier réunissait ces qualités ; c’était un monstre et un protestant.

Cet homme qui avait fait assassiner Conigsmark en guet-à-pens qui avait tenu en prison pendant vingt-cinq années sa femme Sophie de Zell, et qui manquait d’esprit, de loyauté, de dignité, de tact, de toutes les qualités du roi et même de celles du bourgeois, n’avait pour lui qu’un mérite : il était l’ennemi né du catholicisme, de la France et de Louis XIV ; il pouvait donc commander la ligue du Nord, qui avait été mise en mouvement par Guillaume. Entre lui et l’hérédité légitime, il y avait cinquante-sept personnes dont les droits primaient les siens, et, s’il eût été question de peser ces droits dans la balance de la moralité, aucun n’était plus indigne que lui de monter sur le trône. Les haines qu’il satisfaisait et les craintes qu’il rassurait l’accueillirent néanmoins fort bien. Il amenait avec lui un sérail de laideurs et d’antiquités, dont Horace Walpole fait à plusieurs reprises le tableau ; George était vicieux comme s’il avait eu de l’imagination, et borné comme s’il eût vécu dans la privation de tous les plaisirs. La vulgarité