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et le lotus mystique, divins emblèmes de la spéculation transcendante en poésie ; cependant, mieux qu’un palmier tortueux et mal venu, mieux qu’un lotus épanouissant sa coupe symbolique au sein d’une eau trouble et marécageuse, j’aime le simple liseron et la clochette bleue secouant son odeur matinale ; et quand les harpes n’ont point en elles de voix profondes et d’indicibles harmonies, ce n’est point la peine de les suspendre aux saules du rivage.

Les poètes libéraux de la jeune Allemagne nourrissent contre les Souabes un grief qu’ils ne se lassent point d’articuler, et que nous n’oserons passer sous silence. A les entendre, l’école souabe serait une pépinière d’aristocrates, d’esprits bornés, uniquement préoccupés d’évocations féodales, pour le moins intempestives. Voyez un peu cependant la contradiction : on reproche aux Souabes leurs goûts puérils, leurs insipides prédilections ; on leur crie : -Vous êtes des enfans qui ne savez que guetter une mouche et faire la chasse aux scarabées, — et puis en même temps on les accuse d’aristocratie. Encore s’ils célébraient les royautés du désert comme M. Freiligrath, s’ils en voulaient aux lions, aux panthères ; mais, non : les malheureux, un simple scarabée qui bourdonne autour d’une aubépine en fleur va les émouvoir toute une journée, et si plus tard le ver luisant s’allume aux clartés des étoiles, ils n’en demanderont pas davantage pour rimer jusqu’au lendemain. Eux des aristocrates ! Y pensez-vous ? Et que devient alors le fameux sonnet de M. Herwegh ? « Lorsqu’un lion pose devant vos yeux, il ne s’agit pas de venir nous chanter l’insecte qu’il peut avoir sur lui. » Reste à savoir ce qu’on entend par ce lion apocalyptique. Si votre lion n’est qu’une espèce de mannequin gonflé de vide ou de misérables lieux-communs à l’usage de certains mécontens toujours en humeur de soulever les passions populaires contre le régime existant, oh ! alors, mieux vaut cent fois l’insecte, fût-il la puce de la chanson de Goethe. Si au contraire c’est de l’homme que vous voulez parler ; si votre poésie politique est celle qui célèbre les actions et les destinées des peuples, celle avec qui l’idée déjà devenue fait ne demande au penseur en quelque sorte qu’une consécration suprême, à la bonne heure, et nous conviendrons aisément avec vous qu’il n’en existe pas de plus grande. À ce compte, Homère et Shakspeare sont des poètes politiques ; et quant aux Souabes, on se trompe fort si l’on imagine abolir avec des épigrammes aiguisées par l’envie les droits imprescriptibles que ces nobles gardiens de la tradition épique en Allemagne se sont acquis à la reconnaissance de la Muse.

Ce reproche d’aristocratie, si on veut bien le discuter sérieusement,