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frais et les plus agréables, vous étonnerez-vous en apprenant qu’elle émane de Goethe[1] ? Le chantre merveilleux de tant de lieds et de ballades qui ne respirent que printemps et chevalerie attaquer les Souabes ! Goethe se déclarer contre Uhland, contre Schwab, contre toute cette phalange enthousiaste des poètes de Stuttgard et de Tubingue qui l’adorait à l’égal d’un demi-dieu, ô l’ingratitude ! Mais Goethe avait de ces retours d’humeur propres du reste aux natures sceptiques. Le vieux Merlin savait conserver son sang-froid, plus que son sang-froid, son ironie, au milieu des mouvemens exaltés où les tours de son génie prestigieux entraînaient la peuplade littéraire. L’assentiment des gens, loin de le désarmer, aiguisait sa verve satirique, et toute l’admiration de Hegel et des siens n’a jamais fait qu’il se soit gêné le moins du monde sur leur compte. Voici ce qu’il écrivait à la date du 4 octobre 1831. Ajoutons que ces lignes bien amères ne devaient point empêcher ces honnêtes Souabes de s’écrier, en le pleurant quelques mois plus tard, que l’auguste vieillard de quatre-vingt-trois ans était mort trop tôt pour la littérature. « J’ai reçu ces jours derniers les poésies de Gustave Pfizer, et j’ai parcouru çà et là le volume à moitié coupé. Ce poète me paraît posséder un talent réel, et en même temps être un bon homme (und auch ein guter Mensch zu leyn). Néanmoins cette lecture n’a produit sur moi qu’un assez pauvre effet, et je me suis hâté de rejeter le volume, car, par ces temps d’invasion du choléra, il faut se tenir sévèrement en garde contre toute INFLUENCE DÉPRESSIVE. L’opuscule est dédié à Uhland, et j’avoue que de la région où celui-ci plane rien de tonique, de fécond, de capable en un mot de subjuguer la destinée, ne me semble devoir sortir. Je ne dirai point de mal de cette production, mais aussi n’y retournerai-je pas. C’est merveille comme tous ces petits messieurs ont su se faire une guenille poético-morale et religieuse dont ils s’enveloppent du reste fort artistement, quittes, si le coude passe un peu, à vous donner la chose pour une intention poétique. Je vous adresserai l’opuscule en question dans mon premier envoi (la lettre est écrite à Zelter), ne serait-ce que pour le savoir hors de chez moi. » La boutade, on le voit, ne ménage personne ; mais tout cela est-il très juste, et l’auteur de Mignon et du Comte prisonnier condamnant chez Uhland, comme frappé d’impuissance

  1. Je me reprends : de Goethe et des événemens de 1830, de la révolution de juillet, de la chute de la Pologne, de la philosophie de Hegel et de nos doctrines socialistes envahissantes. Goethe s’était contenté de jeter le mot de la réaction, les divers élémens dont nous parlons firent l’ère nouvelle.