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voir dans M. Henri Heine une espèce de prédicateur essayant sur un auditoire de poupées l’effet de son sermon. Naturellement, nous Français, nous étions les poupées, tandis que le vrai public, au contraire, le public lettré, intelligent, le seul public capable de goûter l’esprit du poète, siégeait de l’autre côté du Rhin. Maintenant, s’il nous était permis de nous expliquer à notre tour sur les dernières productions de M. Heine, de jeter en passant notre mot sur les fantaisies voltairiennes de l’ingénieux humoriste, nous demanderions tout simplement à retourner la phrase, et nous dirions que, dans ce qu’il écrit désormais pour l’Allemagne, M. Heine songe beaucoup trop à nous, à nos journaux, et que tant de belles chansons, éparpillées au vent de la patrie, sont en définitive pour ces gens auxquels il a l’air de tourner le dos. De M. Gutzkow, qui prétend que l’auteur du Salon n’a que l’Allemagne en vue alors qu’il s’adresse à un public français, et de nous, qui soutenons le contraire, qui donc a tort ? Franchement, nous craignons que ce ne soit M. Heine. En effet, on ne renonce point sans de graves dommages aux conditions essentielles de la langue dans laquelle on écrit. Il est de ces qualités faciles et légères, de ces graces enjouées, de ces malices, passez-moi le mot, de ces espiègleries de style auxquelles le génie de la langue allemande avec son habitude de l’infini ne saura jamais se prêter. Goethe le sentait bien, mais qu’y faire ? En pareille occasion, le mieux est de se résigner, et quand on ne peut faire Candide, d’écrire Faust, je devrais ajouter pour la circonstance, le Livre lyrique (das Buch der Lieder). Il n’y avait qu’amour et printemps dans ce mince volume, et cependant M. Heine rencontra-t-il jamais si merveilleuse inspiration ? C’était élégant et vif, sentimental avec la pointe d’ironie, vaporeux, tendre, printanier, un peu souabe. Ces pauvres Souabes ont pourtant du bon, quoiqu’ils descendent en droite ligne de Jean-Paul et de Schiller, ces morts augustes dont les vivans ne veulent plus.

Aujourd’hui, il faut le reconnaître, le vent n’est plus à la Souabe. Les coryphées du moment trouvent en Allemagne cette poésie de Shiller et d’Uhland, de Kerner et de Grün, étroite et bornée. M. Wienbarg et tout son monde la condamnent, et c’est à qui la renverra d’un ton de persiflage on ne peut plus charmant au culte des scarabées, des fleurettes et des infiniment petits, dont les cerveaux cyclopéens de la pléiade nouvelle lui laissent dédaigneusement le partage microscopique. Or, cette réaction contre un genre qui depuis cinquante ans a valu à l’Allemagne ses plus sentimentales élégies, ses poèmes les plus