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Mais je me ravise en songeant que ce titre de Coran, dont je parle, eût empêché le jeu de mots : en fallait-il davantage pour que notre poète y renonçât ? N’importe, Printemps ou Coran, c’est le chant d’amour par excellence, une œuvre suave et mélodieuse entre toutes.

Il va sans dire qu’il ne s’agit ici ni de romanesques aventures, ni de drame. Ainsi que nous le remarquions plus haut, Rückert célèbre l’amour comme un dogme, il l’évangélise. De là une poésie contemplative, un hymne à l’amour pur, à cet amour absolu qui plane au-dessus dès péripéties et des conventions sociales, et ne connaît ni les préoccupations de cette vie ni ses misères.


« L’amour est l’étoile de poésie, l’amour est la moelle de la vie (des Lebens Kern), et quiconque a chanté l’amour a droit à l’éternité. »


Le poème se partage en cinq chants, au dire de l’auteur cinq bouquets, lesquels à leur tour se subdivisent en des myriades de fleurettes composant pour Rückert la moisson d’une année de rêverie :

Plus nombreux que les fleurs des champs,
Foisonnent les lieds sous ma plume.

A voir pareil débordement de strophes et de rimes on serait presque tenté d’en demander compte à je ne sais quel mystère d’organisation particulier à Rückert, et qu’un spirituel critique d’outre-Rhin[1] appelait naguère « l’éternel dimanche d’une tête poétique. » En effet, c’est dans cette imagination exubérante une fête sempiternelle, un glorieux dimanche de printemps se reproduisant chaque jour lorsque tant d’autres attendent, pour chanter, que Pâques vienne ou la Trinité. Une chose remarquable, c’est la parfaite indépendance où vit Rückert de cette disposition du moment que nous appelons avec un peu d’emphase l’inspiration. La Muse ne lui rend pas visite, elle habite en lui à la manière d’un esprit familier qu’il évoque à ses heures quand il lui plaît, c’est-à-dire du matin au soir.

« Point de délire furieux, de paroxisme échevelé, mais une inspiration douce et féconde, toujours maîtresse d’elle-même, telle ma vocation poétique ; ô bien aimée, tel mon amour. Je n’ai jamais écrit un seul mot étant ivre. »


D’autres blâmeront peut-être le procédé bourgeois et cette façon

  1. Gustave Pfizer, le même qui figure dans la pléiade des Souabes, esprit abondant mais point créateur, du reste fort habile sur la rime et parlant avec une certaine ampleur lyrique la langue ornée de Schiller. Il a écrit bon nombre de ballades dans le genre d’Uhland, qu’il imite de préférence, et auquel il aime à revenir en prose comme en vers.