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s’étend à l’ombre d’un massif de chênes et d’ormeaux. Insensiblement la rêverie le gagne, et bientôt il lui semble ouïr au-dessus de sa tête de mystérieuses voix qui chuchottent entre elles. Ce sont les branches d’arbres qui se racontent, avant de s’endormir, l’histoire de Flos et Blankflos, deux enfans des âges passés, et dont la nature a gardé la mémoire, tant fut douce et constante l’intimité dans laquelle ils vécurent avec les fleurs. Nous renonçons à recueillir en ces études déjà si longues tous les gracieux secrets tombés comme une douce rosée, comme un parfum du soir, des rameaux de l’arbre séculaire sur l’album de Rückert. On nous permettra, toutefois, de citer la dernière scène, d’un coloris si naïf et si pur, vrai fabliau du temps de Charlemagne à buriner sur parchemin en caractères d’azur, de vermillon et de sinople, avec des buissons de fleurs et des volières d’oiseaux pour majuscules. L’héroïne du poème, Blankflos (Blanchefleur), est devenue la captive du roi de Babylone, un de ces rois de conte de fée comme on en voit dans les tragédies de Shakspeare, et qui vont au lit la couronne en tête. Or, le jeune prince qu’on a si cruellement séparé de la vierge qu’il aime parvient, après des erreurs sans nombre à travers le monde, et toujours grace à l’assistance des fleurs, à découvrir l’endroit où gémit sa douce princesse. Arrivé un soir à Babylone, une esclave égyptienne se charge de l’introduire auprès de Blankflos. Nos deux amans volent dans les bras l’un de l’autre, et, tandis que la matrone fait le guet dans l’antichambre, s’enivrent à loisir d’ineffables caresses. La nuit s’écoule ainsi au milieu des baisers et des tendres aveux que les sanglots de joie entrecoupent. Cependant le lendemain, au premier chant de l’alouette, le monarque babylonien, environné des grands de son empire, et, comme d’habitude, couronne et sceptre en main, attend dans la salle du trône la belle captive qu’il adore, et, comme elle tarde à venir, lui dépêche un de ses officiers. On devine quelle est la stupeur du messager lorsque, s’inclinant sur le lit de Bankflos, au lieu d’une tête il en voit deux si gracieusement penchées l’une vers l’autre, si mollement baignées des ombres vaporeuses du sommeil, et d’ailleurs si parfaitement semblables, qu’il s’éloigne sans savoir laquelle des deux éveiller. « O mon maître ! dit à son retour le royal émissaire ; ô mon glorieux souverain, je te porte envie ; en cette nuit la rose de tes pensées s’est épanouie sur la soie verte des coussins en deux nobles fleurs toutes pareilles, et désormais il devient impossible de les distinguer l’une de l’autre. » À cette nouvelle, l’empereur moins ravi de l’aventure que son officier des gardes ne l’eût soupçonné et craignant quelque sortilège, se précipite furieux hors