Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

descendre au tombeau. J’ai passé un bon temps sur sa pierre, assis et couché à le veiller, et j’ai chanté sur sa mort et notre séparation bien des hymnes de deuil, qui ne cesseront jamais de nous émouvoir moi et tant d’autres. »

Cependant de pareils sentimens, si platonique et si épurée que soit la sphère où l’imagination les porte, ont quelque chose en soi qui répugne aux bienséances, et provoque le trait même injuste, témoin l’amer sarcasme de Heine contre Platen. On aura beau s’écrier : « Honni soit qui mal y pense ; » jamais la Muse moderne, décente et puritaine, ne s’arrangera de ces fadeurs débitées par le poète au bel échanson dont le vin écumant brûle de baiser les lèvres de rubis.

Pour en finir avec les Roses orientales, dirons-nous maintenant qu’elles n’ont rien à nous apprendre sur la vie intime du poète que nous étudions ? Ainsi qu’on a dû voir, il ne s’agit ici que d’une œuvre de pure fantaisie, que d’une de ces imitations brillantes et originales, comme les lyres à plusieurs cordes peuvent seules s’en permettre. Du reste, la digression n’aura pas été stérile, et désormais dans ses vers indigènes nous surprendrons plus d’un reflet du soleil d’Ispahan, plus d’une senteur persistante de ces roses glanées au jardin d’Hafiz et de Saadi. « Du peu de ces roses que j’avais rapportées dans mon sein est né le Printemps d’Amour, » écrit-il lui-même en un vers plein d’élégance. Or, il faut qu’on le sache, le Printemps d’Amour est le plus pur, le plus rare et le plus merveilleux diamant de son aigrette poétique.

Au recueil des Roses orientales succède dans les Œuvres Choisies un assemblage de pièces diverses dont les unes, par ce sentiment de la vie secrète des sources et des fleurs qu’elles respirent, par le naturalisme inséparable de l’inspiration de l’auteur, se rattachent aux chants de la première époque, tandis que les autres, d’un style plus calme et plus posé, d’une contemplation en quelque sorte plus critique, semblent préluder à l’avènement d’une période nouvelle. Après Simurg, l’oiseau mystique de la légende persane, voici encore l’alouette. Écoutons-la bien, car c’est peut-être un cri d’adieu qu’elle nous jette. Demain notre enthousiaste d’autrefois va pendre à cette porte de sa demeure, ouvrant sur un jardinet embaumé, la cage d’osier, symbole des félicités domestiques ; et si quelque oiseau vient au coup de midi béqueter les miettes de sa table, ce ne sera, croyez-le, ni l’oiseau de Safi, ni celui de Roméo, mais bien plutôt l’hôte emplumé de noir que nous avons déjà rencontré chez Kerner, cet honnête et naïf corbeau, dernier signe traditionnel du ménage d’un poète allemand.