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m’inspire, chanter le printemps, la jeunesse, les roses, le vin et l’amour. » Or, ce passage entier s’applique aux Roses orientales. Si Goethe, qui, lui de même, avait accompli le pèlerinage, quoique de façon tout épisodique, si Goethe n’eût prévenu Rückert en mettant sous l’invocation de l’Anacréon persan une des douze parties du Divan, le recueil des Roses orientales aurait pu à merveille s’intituler le livre d’Hafiz, en opposition au recueil de Gazelles, lequel se fût appelé non moins naturellement le livre de Dschelaleddin. Ces noms propres, en effet, caractérisent mieux qu’aucun titre pittoresque les deux tendances de la poésie persane. D’un côté l’extase, de l’autre l’ivresse, comme si sur cette terre de feu, il n’y avait d’inspiration que pour la démence. Ivresse de Dieu ou du vin, peu importe, pourvu que le cerveau duquel jaillit la strophe embrasée ne se possède plus. En général, c’est ce mysticisme inhérent à la race elle-même, cet être intime et latent qui nous échappe à nous tous, poètes, dessinateurs et musiciens français, chaque fois qu’il nous prend fantaisie de nous occuper de l’Orient.

Je dis fantaisie, car, il faut bien l’avouer, nous n’aimons guère à choisir d’autre guide en ces excursions où le dilettantisme seul nous entraîne. Ouvrez les Orientales de Victor Hugo ; voilà certes un beau livre, et dont personne, j’aime à le croire, ne contestera les splendides qualités lyriques. Comment nier cependant que la moindre gazelle de Goethe ou de Rückert vous en apprenne plus sur la physionomie originale et l’esprit de ce monde que tous les jeux de rime chatoyans, que tous les épanchemens descriptifs du chantre de Sarah la Baigneuse et du Feu du ciel ; saphirs et diamans, si l’on veut ; roses de Schiraz, tissus de Cachemyre, nous l’admettons volontiers ? Un collier qu’une indolente main de sultane égrène dans l’albâtre sonore et transparent ; un bouquet embaumé qu’on effeuille, des étoffes de soie et d’or qu’on déploie au soleil, tout cela certes vaut son prix. Mais que faites-vous du personnage principal, de l’ame humaine, qui prétend, elle aussi, jouer son rôle en votre drame, fût-il turc, indien ou persan, fût-il même chinois ? Si maintenant, après avoir constaté le mal, nous en cherchons la cause, peut-être la trouverons-nous dans un certain système d’improvisation qui règne malheureusement chez nous, même dans les plus hautes sphères de la pensée.

À Dieu ne plaise que je veuille le moins du monde disputer ici au génie cette faculté de divination qu’il tient du ciel. Sans abdiquer, toutefois, ces forces vives de l’imagination qu’on appelle enthousiasme et spontanéité, ne saurait-on donner davantage à la méditation, à