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Ce n’est partout que semblable délire ; de strophe en strophe, de gazelle en gazelle, le fleuve écumant s’accroît. On ne se figure point un tel luxe de métaphores, un tel débordement d’images empruntées à tous les règnes de la nature. Il y a d’âpres harmonies, de sauvages musiques dans ces vers où le souffle oriental de la Bible se retrouve en maint endroit. Je citerai dans le nombre la pièce qui commence ainsi :

L’éternel échanson, qui verse la source de l’étang aux sables du désert pousse les nuages aux campagnes du ciel comme un troupeau de dromadaires. Écoutez les timbales de son tonnerre… »

Écoutons en effet le Dieu-mage épancher les torrens de son amour :


« O vous tous dans la poitrine de qui je bats, j’aime, j’aime sans fin ! O vous dans le sang de qui je brûle, j’aime sans fin ! Le monde n’était pas encore, Adam non plus, que moi j’étais déjà ; le temps n’était point, que j’étais cependant, j’aime sans fin ! Lorsque s’épanouit la première rose de la création, ce fut moi qui lui soufflai son haleine, j’aime sans fin ! Sept fois j’ai changé d’image à chaque jour de la semaine de la création, j’aime sans fin ! J’étais dans le jardin avec le couple, et lorsque le serpent s’y glissa, j’y étais, j’aime sans fin ! Lorsque Pharaon s’engloutit dans la mer Rouge, c’était moi qui tenais élevées les mains de Moïse, j’aime sans fin ! Avec Noé dans l’arche, avec Joseph dans la citerne, au ciel avec Hénoch, j’aime sans fin ! Lorsque Mahomet monta vers les régions du firmament, il me trouva dans le septième ciel, j’aime, sans fin ! Chérubins qui supportez mon trône, élevez-le toujours plus haut, j’aime sans fin ! Je suis sévère au muphti, hostile aux prêtres en qui j’ai flairé l’injustice, j’aime sans fin ! »


Et le poète, ivre de Dieu comme Spinosa ou Novalis, reprend en s’écriant :


« L’orient parle de ta gloire à l’occident, la rose s’entretient de ta magnificence avec l’aurore du printemps, la voix des cieux te proclame et l’écho de la terre aussi ! toi ! toi ! ce que la langue annonce en énigmes ; et toi ! ce que l’amour pense tout haut…

« Viens, ô printemps de mon ame ! renouveler les mondes, renouveler la lumière au firmament et l’éclat de la terre ! Viens attacher l’escarboucle du soleil au bleu turban de l’air, et jeter le vert caftan sur le dos des prairies. »


Nous voudrions continuer nos citations, et pouvoir donner tout le recueil ; reste à savoir si le lecteur serait de notre avis. Il y a dans les fréquentations d’un poète aimé qui doivent naturellement accompagner toute étude du genre de celles que nous poursuivons ici ; il y a,