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les organes physiques, comme elle imprime plus d’énergie et de force d’action au système moral ; mais elle est si bien un mal réel par elle-même qu’elle est contraire à l’ordre de la nature, qu’elle annonce une altération de cet ordre, et souvent son entière destruction dans les êtres organisés Si la douleur n’était point un mal, elle ne le serait pas plus pour les autres que pour nous-mêmes ; nous devrions la compter pour rien dans eux comme dans nous ; pourquoi donc cette tendre humanité qui caractérise les plus grands des stoïciens, bien mieux peut-être que la fermeté et la constance de leurs vertus ? O Caton ! pourquoi te vois-je quitter ta monture, y placer ton familier malade, et poursuivre à pied, sous le soleil ardent de la Sicile, une route longue et montueuse ? O Brutus ! pourquoi dans les rigueurs d’une nuit glaciale, sous la toile d’une tente mal fermée, dépouilles-tu le manteau qui te garantit à peine du froid pour couvrir ton esclave frissonnant de la fièvre à tes côtés ? Âmes sublimes et adorables, vos vertus elles-mêmes démentent ces opinions exagérées, contraires à la nature, à cet ordre éternel que vous avez toujours regardé comme la source de toutes les idées saines, comme l’oracle de l’homme sage et vertueux, comme le seul guide sûr de toutes nos actions ! »


Une telle page en apprend beaucoup, ce ne semble, sur Cabanis et sur Fauriel ; elle nous montre en quel sens celui-ci, lors même qu’il eut abandonné ces recherches de sa jeunesse, pu demeurer toujours stoïcien au fond, mais stoïcien compatissant et sensible, un stoïcien orné de bienveillance, voilé de scepticisme, et d’une teinte très adoucie.

J’aime à me figurer, pour tout comprendre que, presque au même moment où il interrogeait son ami Cabanis sur la grande question des causes premières, il était ou il allait être lui-même discrètement touché par son ami Manzoni à cet endroit délicat de la croyance religieuse. Mais n’anticipons point ici sur cette autre liaison si à part et qui viendra en son lieu.

La Lettre de Cabanis à Fauriel sur les Causes finales peut être signalée comme le premier symptôme d’un changement prochain dans la manière d’envisager ces hautes questions : une ère nouvelle se prépare ; un germe d’impartialité vient de naître jusqu’au cœur même de la doctrine rigoureuse ; au lieu de l’aigreur habituelle et de la sécheresse négative qui accueillaient trop souvent ces mystérieux problèmes, voilà qu’il arrive des allées d’Auteuil comme un souffle plus calme et bienfaisant ; c’est une parole lente et circonspecte, révérente jusque dans ses doutes, et qui monte autant qu’elle peut, d’un effort sincère. Honneur à Fauriel pour avoir provoqué l’effort !

Fauriel, lorsqu’on l’interrogeait sur Cabanis, n’en parlait jamais que comme de l’homme le plus parfait moralement qu’il eût connu. Dans