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plus sur l’esprit généreux de cette entreprise et sur le lien qui la rattachait à la philosophie d’alors. Fauriel, au fond, n’était pas très porté directement à la philosophie pure, à l’idéologie, comme on disait ; il avait le goût du beau, du délicat, surtout des choses primitives ; il avait le sens historique, sa vocation propre était là ; il n’aimait la philosophie que comme une noble curiosité, et il y fut conduit naturellement par ses relations d’Auteuil. Destiné, sans y songer, à être neuf et original en toute recherche, dès qu’il s’occupa de philosophie, il la prit par un côté qu’avaient négligé ses amis et ses premiers maîtres ; il s’adressa historiquement à la plus noble des sectes antiques, l’envisageant comme un acheminement à la sagesse moderne : son idée première était probablement de revenir par l’histoire à la doctrine, à une doctrine plus élevée, impartiale, élargie.

Les philosophes du XVIIIe siècle ignoraient trop en général l’histoire des philosophies, ou ils ne s’en servaient que comme d’un arsenal au besoin, pour y saisir quelque arme immédiate dans l’intérêt de leur propre idée. L’honneur de la philosophie moderne et du mouvement dirige par M. Cousin, c’est d’avoir suscité, d’avoir vivifié cette histoire des philosophies, d’y avoir fait circuler un esprit supérieur d’impartialité et d’intelligence. Cette gloire-là survivra, selon moi, à l’effort, d’ailleurs très noble, du dogmatisme mitigé sous le nom d’éclectisme, ou plutôt l’éclectisme, à le bien prendre, ne serait qu’une méthode et une clé appropriée à ce genre d’histoire. Or placé entre M. Cousin qui allait venir et Cabanis qui touchait au terme, Fauriel fit là ce que nous le verrons faire en toute chose ; il devina et devança le prochain mouvement à sa manière, servant comme de trait d’union avec ce qui précédait ; il tenta d’introduire l’histoire de la philosophie au sein de l’idéologie.

Cabanis eut le mérite de comprendre dans toute sa portée première cette noble tentative et de la favoriser. Homme très instruit, versé dans les langues, lisant le grec et l’allemand, médecin aimant la poésie, et pas trop enfoncé dans la casse et la rhubarbe, comme il le disait de lui-même avec grace, n’étant étranger à aucune branche des connaissances humaines, et de plus sympathique par nature aux meilleures, aux plus douces affections, il répandait sur les matières qu’il traitait une sorte de lumière agréable dans laquelle, indépendamment de l’idée, se combinaient le coloris du talent et le reflet de la bienveillance. Sa Lettre à Fauriel sur les Causes finales respire les plus admirables sentimens et agite les conjectures les plus consciencieuses. Cabanis s’y montre beaucoup plus disposé à l’étude des systèmes antérieurs