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où Cabanis nous importe et nous revient ici, c’est le côté sur lequel nous retrouvons Fauriel agissant, et agissant jusqu’au point de modifier son ami ; car le même esprit qui a exercé de près tant d’action sur les débuts de beaucoup d’hommes distingués de l’âge nouveau a eu l’honneur non moindre d’influer sur l’un des personnages les plus caractéristiques du vieux siècle : il a comme inspiré le dernier mot de Cabanis finissant.

Fauriel avait entrepris une Histoire du Stoïcisme ; il avait amassé dans ce but une quantité de matériaux, et avait sans doute poussé assez avant la rédaction de certaines parties. il ne nous est resté de son projet que des cadres très généraux, des listes de noms et des notes bibliographiques, la masse des autres papiers ayant péri pour avoir été enterrée dans un jardin à la campagne, lors des évènemens de 1814[1]. La Lettre de Cabanis à Fauriel, publiée pour la première fois en 1824 et composée vers 1806, nous apprend quelque chose de

  1. Il est pourtant quelques-unes de ces notes de Fauriel qui expriment des faits généraux et des résultats, par exemple :
    « Une inexactitude considérable dans l’histoire de la philosophie, c’est de croire que les anciens philosophes-physiciens ne se sont occupés que d’hypothèses sur les causes premières. Cela n’est pas : presque tous avaient étudié la nature dans ses phénomènes visibles et réguliers ou dans ses productions. Seulement ils observaient très mal, par plusieurs causes qu’il est possible et important d’assigner. »
    — « Expliquer les causes de la grande influence de la philosophie de Pythagore en Grèce durant près d’un siècle, depuis la destruction et la dispersion de l’école de Pythagore jusqu’après la mort d’Épaminondas.
    « La principale cause paraît avoir été dans les peintures poétiques que cette philosophie faisait de la vie des hommes vertueux après la mort. »
    — « C’est une observation capitale dans l’histoire de la philosophie que, dans la philosophie spéculative, toutes les erreurs ou toutes les découvertes postérieures viennent toutes se rattacher à des systèmes antérieurs, comme à leur occasion ou comme à leur cause. Dans la philosophie morale, les faits particuliers, les circonstances de temps et de lieu sont ce qui influe le plus sur les opinions. »
    — « Un évènement de grande importance dans l’histoire de la philosophie grecque, c’est l’invasion de l’Asie mineure par Crésus et puis par Cyrus. Milet, jusque-là la ville la plus riche et la plus florissante de cette belle contrée, fut entièrement ruinée ; elle cessa d’être le siége des écoles de philosophie. Anaxagore, qui tenait l’école de Thalès au moment où cette guerre eut lieu, se réfugia Athènes et y porta la philosophie.
    « Il n’avait à cette époque que vingt ans. Archélaus, son disciple, fut celui par lequel la philosophie ionienne s’établit pleinement à Athènes, où il devint le maître de Socrate.
    « L’apparition d’Anaxagore à Athènes est un évènement très analogue à l’ambassade de Carnéade à Rome, par ses conséquences pour la culture de l’un et l’autre de ces peuples. »