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de son vivant, plus vivement attaqué par ses ennemis, plus mal défendu par ses amis : on ne pouvait souffrir son impertinence froide et son ricanement perpétuel. Envieux, inquiet et madré, s’il déplaisait par ses vices, il blessait surtout par des qualités accusatrices de ses contemporains, et dont le contraste les forçait de rougir : désintéressement, mépris des intrigues, horreur de la friponnerie industrielle et de la spéculation hasardeuse, bon goût dans la vie privée ; rien de hargneux ou d’inconvenant, rien d’exagéré ni de tendu. Il passait pour le plus coxcomb, le plus traître, le moins sûr dans son commerce, et il n’avait ni maîtresses, ni ambition, ni vénalité. Seulement il restait à l’écart, souriant amèrement de ce que l’on faisait autour de lui, et sans autre amusement social que le bonheur de les voir tous ridicules ; on ne pardonne guère cela. Ses manchettes sont bien empesées, son jabot du meilleur goût ; il salue et sourit. Le diable n’y perd rien. Avec sa frivolité apparente, Horace Walpole se fait haïr et redouter ; tout dépend de l’intention. Horace, au fond, était hostile à son temps, qui le lui rendait bien. Il n’a pas l’air d’y toucher ; il porte une lame bien cachée et fort douce, mais elle coupe.

Pendant qu’autour d’Horace la vie constitutionnelle de l’Angleterre se déroulait en fermentant sous l’empire des Fox, des Pitt et des Sheridan, il faisait exactement le contraire de tout ce qui l’environnait, et s’occupait de créer un musée original dans son petit château de Strawberry-Hill. Le gouvernement représentatif troublait les têtes, divisait les familles ; lui, pour ses menus-plaisirs, il essayait de faire renaître la vie féodale. M. du Sommerard n’a pas colligé les vieux tableaux et les vieux meubles avec plus d’amour et d’acharnement ; et comme il fallait loger d’une façon convenable ces curiosités gothiques, Horace Walpole n’épargna aucun soin, ne négligea aucune dépense pour mettre le domaine en harmonie avec les trésors vermoulus qu’il y déposait. Ce fut le bonheur et la fatigue de toutes ses journées et de toutes ses nuits ; on ne pouvait guère témoigner plus ouvertement à ses contemporains le mépris que l’on faisait d’eux. Son roman gothique, le Château d’Otrante, publié en regard de Paméla et de Tom Jones, ressemblait à une mystification ou à une insulte ; le principal personnage de cette œuvre était un vieux casque ! Il écrivit l’histoire des écrivains de qualité pour se moquer des whigs et du peuple, des lettres satiriques sans nombre sur le modèle de Mme de Sévigné, parce que cette idée ne venait à personne, et recueillit, sur les vivans et les morts, sur les contemporains et les ancêtres, toutes les anecdotes dont il put s’emparer.