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F. (Fouché) a de l’humeur. Mais, mes liaisons connues, mon départ simultané, et l’accident qui a retardé sa lettre d’invitation, de manière que je n’ai pu m’y rendre, tout cela, joint à ce que je suis à cent cinquante lieues de Paris ; lui fait trouver simple que j’y reste. »


Ainsi Fouché, qui craignait de s’être un peu compromis envoyant trop Constant cet hiver, n’était pas fâché de se débarrasser de lui et de reprendre ostensiblement à son égard un air de rigueur, en même temps qu’il lui faisait insinuer le conseil à demi hostile comme un avis officieux ; mais il cessa, cet été même, d’être ministre de la police. — La correspondance de Fauriel et de Benjamin Constant, en cette année et dans les suivantes, est remplie d’autant de détails que le permet la crainte d’être lu peut-être par des intermédiaires trop curieux ; elle abonde d’ailleurs en confidences sur leurs impressions personnelles, en jugemens sur leurs lectures, sur leurs projets de travaux. Nous sommes accoutumé dans cette Revue même[1] à entendre converser familièrement Benjamin Constant. Si nous avons pu paraître sévère une fois envers lui, il est juste de dire que, dans toute cette relation avec Fauriel, il se montre tout-à-fait à son avantage, non plus sceptique absolu, mais sceptique regrettant le bien, cœur triste, appréciant le bonheur sans l’espérer, ami affectueux du moins et reconnaissant. Fauriel pensait de Benjamin Constant, comme de La Rochefoucauld, que c’étaient ses relations premières avec les hommes qui l’avaient conduit à des résultats si désolans, et qu’il valait mieux que ses maximes.


« Si je vous entretenais de ce que j’éprouve, écrivait Constant à Fauriel[2], et du dégoût profond que m’inspire la vie, je vous ennuierais beaucoup, vous qui êtes au sein du calme et du bonheur. Je suis loin de l’un et de l’autre, et je crois que j’achète la peine au prix de l’agitation. Cela arrive à beaucoup de gens qui ne s’en doutent pas, et même, comme vous voyez, à ceux qui s’en doutent. Il y a une complication de destinée qu’il est impossible de débrouiller, et avec laquelle on roule en souffrant, sans jamais prendre terre pour regarder autour de soi. Peut-être au reste le bonheur est-il presque impossible, du moins à moi, puisque je ne le trouve pas auprès de la meilleure et de la plus spirituelle des femmes. Je m’aperçois que le superlatif est malhonnête, et je le rétracte pour l’habitante de la Maisonnette

« Je veux cesser mes tristes exclamations, et vous parler de vous qui êtes heureux et qui, au milieu des nuages de toute espèce qui couvrent notre horizon,

  1. Revue des Deux Mondes du 15avril 1844, article Benjamin Constant et Madame de Charrière.
  2. 19 floréal an X (9 mai 1802), de Vitteaux (Côte-d’Or).