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Il eut pourtant, en ces années de jeunesse, son ardeur de prosélytisme et son essor impétueux ; la cause patriotique et philosophique l’enrôla du premier jour dans ses rangs. Il y avait, vers cette époque, dans le pays, une petite société dite de Chambarans, telle sans doute que les jeunes gens en forment d’ordinaire dans leur vue anticipée du monde et dans leurs rêves, d’utopie première : « C’est là, lui écrivait après des années l’un des membres de cette petite coterie, c’est là que je sus vous apprécier et que vous m’apprîtes à lire les Ruines de Volney. Une conformité d’âge et de goûts m’attacha à votre personne, et une liaison s’établit entre nous malgré la supériorité que vous conserviez sur moi. » Il se mêlait à ces causeries ardentes des courses pleines de joie et de fraîcheur à travers la campagne ; car Fauriel aimait la nature, et il l’étudiait comme toutes choses ; la botanique fut d’abord et resta long-temps une de ses passions favorites. Lui si sobre de souvenirs, il aimait à se rappeler, après un bien long intervalle, ses excursions d’enfance dans les sites pittoresques et sauvages, voisins de son berceau :


« C’était sur les bords de la Loire, écrivait-il à un ami, très près des montagnes où elle prend sa source ; je vois encore les deux énormes murailles de rochers entre lesquelles roule le fleuve naissant ; je vois encore son eau limpide glisser sur des rochers qu’elle a pelés et dont elle laisse apercevoir toutes les veines ; je vois flotter sur son cours des laves de volcans, éteints qui y nagent comme feraient de grandes éponges noires : Je vous dis que vous trouverez cela très beau. J’aurai souvent l’occasion de faire ce voyage en idée, et de vous conduire ou de vous suivre à travers ces belles campagnes où le souvenir de trois civilisations différentes ajoute un nouveau charme aux beautés de la nature. »


Ce souvenir des trois civilisations différentes, gauloise, romaine et romane, s’ajoutait après coup, pour la compléter et la couronner dans sa pensée, à son impression première ; l’érudition chez lui empruntait et rendait de la vie aux choses ; mais tout cela, prenez-y garde, ne sautait point aux yeux et restait aussi discret que profond.

Il aimait en tout à étudier, à saisir les origines, les fleuves à leur source, les civilisations à leur naissance, les poésies sous leurs formes primitives, et de même en botanique, quand il herborisait, il cherchait de préférence les mousses.

Mais ces études pacifiques devaient s’ajourner encore ; les dangers de la patrie le réclamaient. Une lettre du ministre de la guerre Beurnonville adressée au Citoyen Fauriel, à Saint-Étienne, à la date du 26 mars 1793, lui donnait avis qu’il était nommé à une sous-lieutenance