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à le voir à l’œuvre, et par l’exposé même des faits où nous avons hâte d’entrer. Nous serons plus hardi à conclure sur ses mérites incontestables, après que nous aurons fourni les preuves surabondantes.

Claude Fauriel, né le 21 octobre 1772, à Saint-Étienne, d’une honnête famille d’artisans qui ne paraît pas avoir manqué d’aisance, fut élevé avec soin au collège des oratoriens de Tournon. On sait seulement qu’il eut pour maître, soit à Tournon, soit auparavant à Saint-Étienne, un M. Dagier, homme estimable, qui depuis a écrit l’histoire de l’Hôtel-Dieu de Lyon[1]. Les qualités du cœur se déclarèrent de bonne heure chez le jeune Fauriel à l’égal de celles de l’esprit. Il était naturellement si bon que dans son enfance, s’étant fait au sourcil une brûlure grave qui lui laissa cicatrice, comme il en souffrait beaucoup, il dissimulait tout-à-fait cette douleur devant, sa belle-mère, qu’il aimait tendrement ; il triomphait sans trop d’effort de l’égoïsme si ordinaire à cet âge, et, dès que sa belle-mère s’approchait de son lit, il ne sentait plus son mal. Ce trait d’enfance qui s’est conservé est bien du même homme qui, savant et vieilli, a pourtant vécu jusqu’à la fin par la vie du cœur et par les affections : on s’apercevait, en le rencontrant, du retour de certains amis qui lui étaient chers, sans avoir besoin de lui en faire la question, et rien qu’à son visage plus éclairé. Tout en étudiant plus particulièrement en lui l’historien et le critique, nous ne nous interdisons pas d’y rencontrer l’homme.

Le jeune Fauriel achevait ses études à Tournon au moment où la révolution de 89 éclatait. Le souffle de la tempête généreuse courait par toute la France, et y enflammait les ames. Les écoliers, à ce qu’il paraît, jouaient entre eux à l’Assemblée nationale ; on répétait à Saint-Étienne ou à Tournon, on parodiait avec sérieux le grand drame de Paris ; l’un était Mirabeau, l’autre Barnave, un autre M. Necker : chacun avait son rôle et faisait sa motion. Un jour, que M. Fauriel racontait ce souvenir en présence de M. Guizot, son ami de tout temps, celui-ci, l’interrompant, lui dit : « Ah ! vous, Fauriel, je ne suis pas embarrassé du rôle que vous avez eu, je le vois d’ici. — Et qu’y faisais-je donc ? répliqua Fauriel. — Ce que vous avez fait ? dit M. Guizot, vous avez donné votre démission. » C’est en effet ce que M. Fauriel était toujours tenté de faire, homme de pensée et nullement d’action, toujours pressé de sortir de la vie extérieure, pour se réfugier dans l’étude secrète, profonde et sans partage ; nous le verrons, toutes les fois qu’il le pourra, donner sa démission.

  1. Voir les Études sur les Historiens du Lyonnais, par M. Collombet, seconde série, p. 30.