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après avoir combattu avec un rare talent le projet de M. Laplagne, a eu moins de succès dans la défense de son propre système, qui consistait à réduire à 3 et demi pour 100 l’intérêt des caisses d’épargne. L’erreur de M. Lanjuinais et de ses honorables collègues, auteurs de l’amendement, a été de considérer la prime offerte par l’état aux économies du pauvre comme un motif accessoire du placement. S’il en était ainsi, pourquoi le pauvre ne garderait-il pas son argent chez lui ? La vérité est que l’argent du pauvre ne viendrait pas aux caisses d’épargne sans l’appât d’un intérêt élevé, joint aux avantages de la disponibilité. L’intérêt est le stimulant nécessaire de l’économie et du placement. Abaissez l’intérêt, vous réduirez les dépôts ; et ce ne seront pas les capitaux des classes aisées qui s’éloigneront, car un intérêt de 3 et demi peut leur suffire ; ce seront ceux des classes ouvrières, qui s’en iront au cabaret ou à la Bourse. M. Saint-Marc Girardin, qui a prononcé un excellent discours, a eu bien raison de dire que le projet du gouvernement ne valait rien, mais que celui de M. Lanjuinais et de ses collègues ne valait pas beaucoup mieux. Heureusement la chambre ne s’est pas crue forcée de choisir entre les deux.

Peut-être, par la suite, lorsque le taux de l’intérêt aura subi en France une baisse plus générale et plus marquée, pourra-t-on examiner de nouveau le système de M. Lanjuinais, ou celui de M. Garnier-Pagès, qui proposait de faire deux catégories pour les intérêts, l’une où les dépôts, jusqu’à mille francs, recevraient 4 pour 100, l’autre, où l’excédant des dépôts, jusqu’à une limite fixée, recevrait 3 pour 100. Ce dernier système éloignerait sans doute les capitaux des classes aisées. On a invoqué contre lui les difficultés d’exécution ; il n’est pas impossible de les résoudre, et la comptabilité a déjà vaincu de plus grands obstacles. Néanmoins, il faut le reconnaître, une réduction d’intérêts sur les placemens des caisses d’épargne eût été, dans les circonstances présentes, une rigueur dangereuse. Au moment de voter la conversion de la rente, la chambre ne pouvait réduire l’intérêt des caisses d’épargne. Elle ne pouvait intimider à la fois les déposans et les rentiers : t’eût été commettre une grave imprudence.

Qu’a fait la chambre ? Sollicitée en sens contraires, peu convaincue de la gravité du mal qu’on lui signalait, et croyant encore moins à l’efficacité des remèdes qui lui étaient proposés, elle a pris un terme moyen qui change peu de chose à la législation actuelle, et n’apporte, dans tous les cas, aucune modification sérieuse à la situation du trésor. Sur la proposition de. M. Berryer, qui prend, dans cette session, une part active aux discussions d’affaires, et s’étonne quelquefois, à la tribune, de se trouver l’unique défenseur du cabinet, la chambre a réduit à 1,500 francs le crédit de chaque déposant, avec la faculté de le porter à 2,000 par les intérêts capitalisés. Or, dans l’état actuel, les placemens de 2,000 francs et au-dessous forment la grande partie du dépôt des caisses d’épargne. Il est donc vrai de dire que le vote de la chambre n’a pas résolu la question du remboursement. Cette question, qui dominait tout le projet de loi, a été mise de côté. La chambre paraît n’avoir voulu qu’une chose, fixer la destination des caisses d’épargne, qui est de créer