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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 avril 1845.

L’évènement de cette quinzaine est la maladie de M. le ministre des affaires étrangères. Sans inspirer de vives inquiétudes, cette maladie présente néanmoins un caractère sérieux qu’on ne peut dissimuler. M. Guizot a dû demander un congé, et son portefeuille a été confié par intérim à M. Duchâtel. On savait, depuis plusieurs mois, que la santé de M. le ministre des affaires étrangères était altérée. Les fatigues de la tribune épuisaient ses forces. Peut-être aussi n’a-t-il pu supporter sans de profonds ennuis le fardeau d’une situation fausse, humiliée, blessante pour sa dignité personnelle. Il faut rendre justice à l’ambition de M. Guizot, elle est noble et grande. Il aime le pouvoir, mais pour les intérêts élevés qui s’y rattachent, et non pour le vain éclat de la puissance ministérielle. Il veut dominer, il veut agir. Or, depuis quatre mois surtout, le ministère ne domine rien et n’agit pas. S’il a le pouvoir, c’est à la condition de l’abaisser et de l’énerver. Cette situation ne pouvait convenir à M. Guizot ; aussi sa santé en a souffert, et les dégoûts politiques ont influé sur la maladie grave qui le condamne aujourd’hui à un repos absolu.

Ce triste évènement a fait naître depuis plusieurs jours beaucoup de conjectures. On s’est demandé si M. Duchâtel garderait l’intérim qui lui est confié. On s’est demandé aussi comment le maréchal Soult supporterait la blessure faite à son amour-propre. Si la crise se prolonge, appellera-t-on M. le duc de Broglie pour lui remettre le portefeuille des affaires étrangères, sauf à le lui reprendre dès que M. Guizot serait rétabli ? et dans le cas où M. de Broglie serait appelé, accepterait-il ? L’ami de M. Guizot, l’adversaire personnel de M. le comte Molé, pousserait-il jusque-là l’esprit d’abnégation ou de rivalité ? se résignerait-il à doubler un rôle et à exercer un pouvoir d’emprunt, lui autrefois si fier, si jaloux de son indépendance ? On se demande enfin si M. Duchâtel n’a pas quelque autre projet dans la tête. On parle de tentatives qui auraient été faites du côté des conservateurs dissidens pour remanier le cabinet. Si ces tentatives ont eu lieu, nous pouvons assurer qu’elles sont res-