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et d’autant plus méritoire, qu’il avait à combattre non-seulement un bon nombre de ses adhérens habituels, mais encore quelques-uns des membres du cabinet. Le secrétaire d’état de l’intérieur, Dundas, tout en affectant de vouloir la suppression de la traite, contribua plus que personne à empêcher qu’elle ne fût immédiatement votée, et lorsque la question fut portée ensuite à la chambre des lords, le chancelier fit ajourner la discussion à l’année suivante, prétendant qu’une enquête était nécessaire pour en préparer les élémens. Le troisième fils du roi, le duc de Clarence, qui servait dans la marine et qui partageait, en faveur de la traite, les préjugés de ce corps, ne se contenta pas de voter dans le même sens : il se livra à de violentes invectives contre les partisans de l’abolition, qu’il déclara atteints de fanatisme politique et religieux.

Bien que la résolution des communes se trouvât ainsi annulée de fait, elle avait une grande portée, en ce qu’elle consacrait pour la première fois le principe de la réprobation de la traite. C’était une victoire importante pour la cause de l’humanité. La cause de la liberté obtint un triomphe non moins signalé et plus complet par l’adoption définitive d’un bill que la chambre des communes avait déjà voté l’année précédente pour régler les droits du jury en matière de presse. Par un étrange abus, les juges s’étaient attribué le droit d’apprécier la criminalité des écrits, ne laissant guère au jury que le droit de prononcer sur le fait de la publication. Le jury fut rétabli dans sa prérogative, malgré la vive opposition de la plupart des légistes et du chancelier. Ce résultat fut dû principalement aux efforts de Fox et d’Erskine. Le gouvernement et la majorité sur laquelle il s’appuyait n’avaient pas encore renoncé, on le voit, au système de réformes libérales et mesurées qui avait marqué les premiers temps de l’administration de Pitt ; mais ces tendances généreuses s’affaiblissaient progressivement devant la terreur excitée par la marche de la révolution française. Le danger de fournir des armes à ses téméraires imitateurs, la nécessité d’opposer à leur audace d’infranchissables barrières, tels étaient les argumens dont le ministère et ses amis se servaient avec une complète efficacité, soit pour repousser les innovations qui les contrariaient, soit pour faire adopter des mesures propres à fortifier ’l’autorité. C’est ainsi que, malgré les clameurs de l’opposition, ils obtinrent, pour la police de la capitale, des pouvoirs nécessaires peut-être au maintien du bon ordre dans une aussi immense population et dans un temps aussi agité, mais qui, à toute autre époque, leur eussent été refusés comme inconciliables avec le profond respect qu’inspire en ce pays la liberté individuelle.