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à Paris serait, pour l’Angleterre, une utile leçon, qu’on l’étudierait pour en profiter ; il accusa les ministres de reproduire tous les vices, de l’ancien régime français et de mépriser les vertus du nouveau.

Lorsque la contagion gagnait ainsi les plus hautes intelligences, il est facile de comprendre quels ravages elle exerçait dans lainasse du public. Des clubs s’ouvraient de toutes parts et remerciaient l’assemblée nationale de la révolution qu’elle préparait pour le reste du monde en renouvelant la face de la France. Thomas Payne publiait son livre des Droits de l’Homme, dont les exagérations démocratiques, empreintes dans leur extravagance d’une sauvage énergie, obtenaient un succès surprenant. D’autres écrits conçus dans le même sens paraissaient journellement, et, quoique moins remarquables, étaient aussi accueillis avec faveur. Un tel état de choses inspirait de légitimes inquiétudes aux partisans du gouvernement monarchique et aristocratique. On conçoit la satisfaction qu’ils éprouvèrent lorsqu’ils virent l’un des deux chefs principaux de l’opposition, le vieil ami, le maître de Fox, l’illustre Burke, rompre violemment ses anciennes liaisons et renoncer aux habitudes de sa vie entière pour se vouer sans réserve, sans restriction, avec toute la fougue et la violence de sa nature, à la défense de l’ordre social menacé. Déjà, nous l’avons dit, pendant la session précédente, il avait préludé à cette transformation par quelques discours dans lesquels la situation de la France était sévèrement jugée. Ces premiers indices d’hostilité avaient été suivis d’un acte plus décisif, la publication de son célèbre ouvrage sur la révolution française. Ce livre, où la plus admirable éloquence s’allie tantôt à une sagacité prophétique, tantôt à des erreurs, à des exagérations inconcevables de la part d’un tel génie, et où l’exaltation monarchique et religieuse prend trop souvent la couleur de l’absolutisme intolérant, produisit une sensation immense. Ce qui restait encore au fond des ames des vieux sentimens du torysme se réveilla aux accens de cette voix puissante. Burke, devenu l’espoir de tous les hommes qu’effrayait le progrès des idées nouvelles, sévit en un moment l’objet de leurs adulations empressées. Le roi lui-même, oubliant d’anciens ressentimens, ne parlait qu’avec enthousiasme du livre et de son auteur.

Burke, après un tel éclat, ne pouvait rester dans les rangs de l’opposition, encore réunie sous le drapeau de Fox. Cependant cette opposition essayait de se dissimuler l’imminence d’une rupture qui devait la priver d’une de ses plus grandes gloires. Dans son désir d’éviter autant que possible ce qui l’eût rendue inévitable, elle avait généralement désapprouvé les paroles provoquantes que Fox venait