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une réforme électorale ; mais il dit que si quelqu’un, dans l’état actuel des esprits, reproduisait textuellement son projet, il serait le premier à demander qu’il fût rejeté, et que, sans renoncer aux convictions de sa jeunesse, il attendrait, pour en suivre l’impulsion, un temps plus favorable. Burke s’exprima dans le même sens que Windham. Fox, au contraire, se prononça en faveur du projet ; mais les dispositions de la chambre y étaient si évidemment contraires, qu’on jugea à propos de le retirer.

L’état toujours plus florissant du pays fournissait à Pitt contre les novateurs des argumens plus spécieux peut-être que péremptoires, mais dont il tirait habilement parti pour rattacher à sa politique ces hommes si nombreux qui, peu en état d’apprécier la valeur intrinsèque d’un système, le jugent uniquement par ses résultats. En présentant le budget de cette année, il put tracer un tableau très satisfaisant de la situation du commerce, de la navigation et du revenu public, qui donna cette fois un excédant d’un million sterling sur les dépenses. Il fit voir, dans cette prospérité le fruit de la sage constitution qui présidait aux destinées de l’Angleterre, et il y trouva un motif de plus de la défendre contre tout changement.

Cependant une nouvelle fort inattendue vint presque aussitôt compromettre la paix qui avait été la véritable source de ces brillans résultats, et déranger momentanément l’équilibre financier que Pitt se félicitait d’avoir rétabli. Des négocians anglais avaient fondé à Nootka-Sound, sur la côte occidentale de l’Amérique du Nord, un établissement destiné à fournir les élémens d’un commerce de fourrures avec la Chine. Le terrain qu’ils avaient occupé était à peu près désert, et ils avaient pris la précaution de l’acheter des sauvages indigènes ; mais les Espagnols, s’attribuant un droit de souveraineté sur toute cette côte, envoyèrent à Nootka-Sound, à bord de deux bâtimens de guerre, une expédition qui s’empara de plusieurs vaisseaux de commerce anglais, prit possession du nouvel établissement, abattit le pavillon britannique pour y substituer celui de l’Espagne, accabla de mauvais traitemens les colons et les matelots faits prisonniers, et les obligea même à travailler à des ouvrages de fortification. Non content de ces procédés violens, le cabinet de Madrid, allant au-devant des plaintes qu’il s’attendait à recevoir de celui de Londres, demanda lui-même, par une audacieuse initiative, réparation et satisfaction pour la prétendue usurpation de territoire dont il venait de tirer une si rude vengeance. C’est par cette communication singulière que le gouvernement britannique reçut le premier avis de ce qui s’était passé. Sans renoncer