Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La conduite de Pitt dans cette affaire fut jugée avec beaucoup de sévérité. Les amis d’Hastings, les partisans nombreux qu’il comptait à la cour, dans le parlement, dans la société, les journaux qui avaient embrassé sa défense, se répandirent en invectives amères contre le premier ministre, et l’accusèrent d’avoir cédé à des motifs secrets d’intérêt personnel en quittant le terrain sur lequel il avait paru d’abord se placer. L’opposition ne lui en sut aucun gré, et exprima la même opinion sur les causes d’un revirement aussi soudain. Vainement ses défenseurs disaient qu’aucune considération politique n’avait agi sur lui, qu’il s’était considéré purement comme un juge, et qu’après avoir acquitté Hastings lorsque son innocence lui avait paru évidente ou même lorsqu’il n’avait pas trouvé sa culpabilité suffisamment démontrée, il avait dû le condamner sur un acte qui, à ses yeux, était entaché d’une incontestable irrégularité. Cette apologie ne se conciliait, en réalité, ni avec le caractère intrinsèque des faits, ni avec les vues que Pitt avait manifestées dans les premières périodes de la procédure, ni surtout avec la politique habituelle d’un homme d’état accoutumé à se préoccuper de la portée générale des choses plutôt que, de leurs détails particuliers et techniques. On pensa qu’il s’était déterminé à perdre l’ancien gouverneur de l’Inde parce qu’il avait appris que le roi se proposait de le faire entrer dans le cabinet, parce qu’il craignait de trouver en lui un rival d’influence. Rien n’est venu depuis détruire cette supposition. Il est d’ailleurs vraisemblable que, si tel fut en effet le motif qui le décida, il ne s’en rendit pas à lui-même un compte bien exact. L’esprit humain n’est que trop ingénieux à s’abuser sur le principe véritable de ses déterminations, lorsque ce principe blesse la conscience ou l’orgueil.

Peu de temps après la clôture de la session qui vit commencer ce mémorable procès, Pitt réussit à terminer une négociation depuis long-temps ouverte, et à laquelle il mettait avec raison une grande importance. Un traité signé à Versailles le 29 septembre 1786 établit entre la France et l’Angleterre une liberté réciproque de commerce et de navigation et remplaça par des droits très modérés les taxes excessives ou les prohibitions qui pesaient, dans chacun des deux pays, sur les importations de l’autre. On sait quels furent les effets immédiats de ce traité. Le brusque changement qu’il opéra dans les rapports commerciaux porta à l’industrie française un coup très grave dont elle commençait seulement à se relever lorsque la guerre qui éclata sept ans après empêcha que l’expérience ne pût être complétée. L’Angleterre, au contraire, vit ouvrir aux produits de ses manufactures, un