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Elles furent ensuite présentées au roi avec une adresse du parlement, et le ministère les transmit aussitôt à la chambre des communes de Dublin ; mais déjà on était parvenu à les frapper d’impopularité en les montrant aux Irlandais comme un attentat à leur indépendance. Les chefs de l’opposition, particulièrement l’illustre Grattan, réussirent à jeter d’odieux soupçons sur les intentions qui les avaient inspirées. A la seconde lecture, elles n’obtinrent qu’une majorité de 19 voix. On ne pensa pas qu’il fût possible de s’en contenter. La proposition fut retirée, et des cris de joie, des illuminations, célébrèrent la victoire de l’opinion publique. Pitt fut très sensible à cet échec, parce qu’il avait fondé de grandes espérances sur les résultats de son projet. Pour qu’il réussît, il eût fallu triompher simultanément, en Angleterre, des préjugés égoïstes de l’intérêt industriel et commercial, en Irlande, des préventions nationales et des susceptibilités d’une indépendance d’autant plus facile à alarmer qu’elle était plus récemment conquise. C’était beaucoup entreprendre à la fois.

Une autre défaite que Pitt avait éprouvée un peu auparavant lui fut sans doute beaucoup moins pénible. L’année précédente, il avait fait ajourner la motion périodique de l’alderman Sawbridge en s’engageant à prendre bientôt lui-même l’initiative d’un plan de réforme électorale. Il voulut dégager sa parole. La motion qu’il présenta à cet effet, les développemens qu’il y joignit, prouvèrent de plus en plus combien ses idées s’étaient déjà modifiées sur une question que cependant il ne désertait pas encore. Il ne partageait pas, dit-il, l’opinion des hommes qui croyaient le système électoral parvenu à son plus haut point de perfection ; mais il respectait les scrupules de ceux qui se préoccupaient avant tout du danger des innovations. Les changemens qu’il venait proposer n’avaient rien de vague, rien de théorique ; ils se rattachaient aux principes mêmes de la constitution et tendaient à leur rendre plus de vitalité. Une union étroite, une sympathie parfaite n’avaient pas cessé d’exister entre la chambre des communes et le peuple. C’était là la condition essentielle d’une véritable représentation nationale, et il repoussait comme impraticable et chimérique, comme pouvant entraîner à de périlleuses conséquences, l’idée de la représentation individuelle. Cependant, afin même de rester fidèle aux anciens principes, pour que l’état de la chambre des communes fût toujours en rapport avec son objet primitif et fondamental, il fallait en modifier la formation à mesure que les circonstances se modifiaient elles-mêmes. De tout temps, d’ailleurs, on avait procédé de la sorte, et Pitt le démontra par de nombreux exemples. Voici donc ce