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vrai que l’ancienne stratégie maritime a fait son temps et doit céder la place à des combinaisons nouvelles, quand bien même nous ne devrions point armer d’escadres en temps de guerre, il en faudrait encore armer et réunir en temps de paix.

Est-il besoin d’ajouter que ce qui est bon et utile pour notre marine à voiles devient indispensable pour l’organisation d’une marine telle que la marine à vapeur, où tout est à créer, tout est à fonder, depuis la base du service jusqu’à ses moindres détails ? Appelés à opérer de grands transports de troupes, à jeter sur la côte ennemie des détachemens qui puissent soutenir un premier effort et ne soient point facilement jetés à la mer, les navires à vapeur ont un immense intérêt à naviguer avec ordre et ensemble, à exécuter des débarquemens rapidement et sans confusion, et à former enfin la ligne de bataille la plus avantageuse pour combattre les bâtimens qui s’opposeraient à leur passage. Il n’est point impossible que les engagemens d’escadres, devenus plus rares entre les navires à voiles, ne soient, au contraire, très fréquens entre les navires à vapeur, qui ne tenteront jamais qu’en nombre de grandes opérations. Qui sait si des armées ne sont point destinées à se heurter encore sur les flots d’Actium et de Lépante, et si nous ne trouverons pas dans quelque rencontre fortuite la victoire que nos soldats iront chercher sur un autre champ de bataille ? Quoi qu’il en soit, quelle que puisse être la stratégie de l’avenir, préservons notre marine du dissolvant des armemens isolés ; maintenons intactes la discipline et les traditions militaires, et gardons-nous de les laisser périr dans la confusion momentanée où nous a jetés l’introduction d’une arme nouvelle.

Ce n’est du reste qu’à la mer ou dans les rades étrangères que les heureux effets de ces réunions de navires se font complètement ressentir. Les Anglais ont reconnu l’impossibilité de contenir leurs équipages à Portsmouth et à Plymouth ; ils envoient, dès qu’ils le peuvent, leur escadre de réserve, the home station, stationner sur les côtes d’Irlande. Le séjour de nos rades n’est guère plus salutaire à nos matelots que ne l’est celui des rades anglaises aux marins de la Grande-Bretagne. Le pavé des grands ports est partout funeste à la discipline, et nos vaisseaux, comme ceux de nos voisins, se trouveront toujours bien d’y séjourner le moins long-temps possible. Malheureusement, les mois d’été permettent seuls à de nombreuses divisions de tenir la mer sans courir de trop grands risques, et il serait imprudent de livrer aux chances de nos rudes hivers une partie si précieuse de notre fortune maritime ; mais il est de nombreuses stations où nos navires peuvent se disperser pendant cette saison, à la condition de venir, au