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voiles ou avec des navires à vapeur. Poursuivons du moins le seul résultat qui ne puisse nous échapper, quel que soit le système de guerre qui vienne à prévaloir ; faisons en sorte, par des soins bien entendus, que chaque échantillon de notre puissance navale, si formidable ou si infime qu’il soit, qu’il porte 120 canons ou 120 chevaux, qu’il s’appelle cutter ou frégate, brick ou corvette, steamer ou vaisseau, soit mis en état de rencontrer avec avantage, avec toutes les chances possibles de succès, un bâtiment du même rang et de la même force que lui. Il faut pour cela qu’il soit bien entendu de tous ceux auxquels sont confiées les destinées de notre marine, qu’il n’y a dans une guerre maritime ni petit succès ni petit revers, qu’il faut créer la confiance dès le début, et que la gloire du pavillon se trouve intéressée à la fortune de tout navire qui a obtenu l’honneur de le porter.

On comprendrait difficilement aujourd’hui, si l’on ne remontait par la pensée vers ces temps héroïques, comment nos marins, pendant dernières années de la république et les premières de l’empire, ont pu résister à l’influence démoralisante de tant d’inévitables revers, et continuer avec une énergie qui s’est rarement démentie une guerre où toutes les chances étaient contre eux. C’est qu’il leur arrivait alors des champs de Marengo et d’Iéna de ces chaudes bouffées de gloire qui faisaient courtiser le danger et la mort. Ne nous exposons point à voir se renouveler ces jours désastreux. Ce sont des vainqueurs et non des martyrs qu’il nous faut. Laissons cet héroïsme désespéré aux populations du Maroc et du Mexique ; pour nous, évoquons toutes les ressources de la science militaire et de la stratégie la plus avancée ; ne présentons à l’ennemi que des navires dont le succès soit au moins probable. Armons moins de bâtimens, s’il le faut, pour les mieux armer, et défions-nous à cet égard d’une ruineuse économie qui voudrait proscrire tout progrès et consacrer, le règlement à la main, notre infériorité. Loin de faire le procès à l’émulation de nos capitaines, loin d’accuser la fièvre qui les pousse sans cesse à vouloir tout améliorer et perfectionner, excitons, provoquons plutôt cette heureuse disposition. Rendons aussi nos équipages redoutables en les choisissant ; concentrons nos forces au lieu de les disperser, et méritons la victoire si nous voulons l’obtenir.

J’ai dit plus haut qu’il nous importait de rechercher comment une marine numériquement inférieure pouvait soutenir une lutte inégale. Je ne connais point d’autres moyens d’atteindre ce but que ceux que je viens d’indiquer. Armer à l’avance, faire peu pour faire bien, ne point nous préoccuper du nombre de navires que nous enverrons à