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du port pour essayer, le jour même du combat, la portée de leurs canons ; mais ces vaisseaux avaient été, pendant plus d’un an, sous les ordres d’un homme qui avait fait du commandement d’une escadre l’espoir et la pensée de toute sa vie : ces vaisseaux avaient exercés par un chef qui comptait bien s’en servir un jour. Tous ceux qui ont connu M. l’amiral Lalande savent avec quelle joie fiévreuse il sentit sous sa main cette réunion de onze vaisseaux, la plus considérable qu’eût eue la France depuis 1815. Homme d’esprit et homme d’action, bouillant, infatigable, présent à tout, se portant sans cesse d’un vaisseau à l’autre, convaincu qu’il fallait se préparer pour un collision prochaine, l’illustre amiral avait fait passer le feu de ses ame dans ces états-majors et ces équipages qu’il pénétrait de sa confiance et électrisait par sa gaieté et son ardeur. Il avait médité avec fruit l’histoire de nos guerres maritimes, que personne ne connaissait mieux que lui, et il savait que les combats de mer sont avant tout de combats d’artillerie. Aussi, persuadé que le succès devait appartenir à celui qui manœuvrerait le mieux ses canons, il avait consacré tous ses soins à l’instruction militaire de l’escadre : sur les îles désertes qui ferment la rade d’Ourlac du côté de l’est, il avait élevé des simulacres de vaisseaux en pierres sèches. Avec leurs larges raies de batterie peintes à la chaux, ces bâtimens simulés rappelaient les mannequins, coiffés d’un turban et le yataghan à la ceinture, avec lesquels Suwarow habituait ses grenadiers à charger les Osmanlis à la baïonnette. L’amiral les donnait à détruire à ses canonniers, mais il leur promettait de les mettre bientôt aux prises avec des vaisseaux plus faciles à entamer. Ce fut lui qui, frappé des résultats que les Américains avaient obtenus en 1812 par la rapidité de leur tir, introduisit dans notre marine la charge précipitée, consistant à enfoncer à la fois la gargousse et le boulet dans l’ame de la pièce. Il habitua nos matelots à faire voler leurs canons au sabord, leur répétant sans cesse qu’il fallait chercher vite, mais pointer avec calme. Aussi, l’élan de nos équipages, le degré d’instruction auquel ils étaient arrivés, inspiraient à tous nos officiers une confiance extrême ; et lorsque notre escadre fut rappelée à Toulon, il leur sembla qu’on leur ravissait une victoire assurée.

Personne à cette époque n’eût certainement voulu répudier le légitime espoir de succès qui animait cette glorieuse escadre, personne n’eût voulu contester le grand effet moral qu’on eût pet se promettre d’une première victoire ; mais les uns étaient disposés à croire que, parce que nous avions déployé autant de forces que l’Angleterre, noms, en possédions autant qu’elle, tandis que d’autres, et l’amiral tout le