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jusqu’au dernier moment. Conformément à ce principe que l’illustre amiral eut la gloire d’avoir introduit le premier dans notre marine, nous avions, depuis l’expédition du Tage[1], entretenu constamment sur nos côtes ou sur celles de l’Asie Mineure des escadres d’évolution, dans lesquelles se réalisèrent la plupart des progrès dont nous pouvons nous féliciter aujourd’hui. Il en résulta qu’en 1840, lorsque les mers du Levant devinrent tout à coup le théâtre des plus graves complications, nous nous trouvâmes naturellement prêts à faire face aux premières éventualités. Nos armemens maritimes, augmentés progressivement par les deux ministères qui s’étaient succédé depuis le 12 mai 1839, se composaient alors de 20 vaisseaux réunis dans la Méditerranée, 22 frégates, 21 corvettes, 20 grands bricks, 16 bricks-avisos et 29 bâtimens à vapeur. Les Anglais, au contraire, réduits, jusqu’au jour où le ministère est armé par le parlement du bill de presse, à la seule ressource des engagemens volontaires, avaient éprouvé, malgré l’immense développement de leur population maritime, quelque difficulté à former les équipages de leurs derniers vaisseaux ; ils avaient dû avoir recours, pour les compléter, aux bateliers du Shannon et aux caboteurs de la côte d’Irlande. Ainsi, soit négligence, soit confiance, il est certain que cette fois ils songèrent trop tard à accroître leurs forces, et qu’ils nous furent un instant, dans la Méditerranée, numériquement inférieurs. Leur position au mois de juillet 1840 était, on le voit, des plus périlleuses. Ce qui la rendait plus critique encore, c’est que leur escadre, qu’ils avaient long-temps tenue réunie à l’entrée des Dardanelles ou dans la rade d’Ourlac, était alors dispersée à Malte, à Thasos et sur la côte de Syrie, tandis que les onze vaisseaux que nous avions rassemblés dans le Levant formaient une force compacte et imposante.

Ce n’eût été rien, cependant, si ces onze vaisseaux eussent été des vaisseaux armés à la hâte, comme au temps de la république, et accourant

  1. Ce fut après cette brillante expédition du Tage, qui inaugura d’une manière si glorieuse le nouveau pavillon de la France, que M. l’amiral de Rigny, interpellé à la chambre des députés, dans la séance du 18 août 1831, sur le chiffre de l’indemnité stipulée pour les frais de l’expédition, prononça ces paroles remarquables, qui sont la meilleure justification du système d’armemens permanens que nous avons maintenu en France depuis cette époque : « J’ai entendu dire qu’on avait trouvé cette indemnité trop modique. J’avoue, messieurs, que, s’il avait fallu armer et équiper une flotte telle que celle employée à cette expédition, certainement l’indemnité aurait été insuffisante ; mais je déclare que, s’il avait fallu armer et équiper cette flotte, l’expédition ne serait pas faite aujourd’hui, et qu’elle aurait pu à peine avoir lieu à la fin de l’année. »