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que ses revenus étaient trop considérables, la contraindre à déclarer ses dernières acquisitions illégitimes parce qu’elles étaient récentes, renoncer à Masulipatam à cause de ses manufactures, au Dekhan parce que sa possession couvrait nos comptoirs de la côte de Coromandel, ce n’était pas accélérer la paix, c’était éterniser la jalousie et la haine.

La compagnie, par l’organe de Duvelaër, le gouvernement français, par l’intermédiaire de son ambassadeur, essayèrent de résister à ces exigences : ils objectèrent que nos acquisitions nouvelles étaient en partie indispensables à la conservation des anciennes ; qu’en sacrifiant un accroissement de territoire dû à des concessions volontaires et légitimé par le firman du Grand-Mogol, en renonçant surtout à toute entreprise de ce genre, même dans l’intérêt de sa sûreté et de sa défense, la nation française perdrait toute considération dans l’Inde ; que d’ailleurs il n’y avait aucune parité entre les sacrifices qu’on lui demandait et ceux auxquels se résignait l’Angleterre. La compagnie, malgré sa faiblesse habituelle, poussa le courage du désespoir jusqu’à déclarer qu’elle aimait mieux perdre ses conquêtes par la voie des armes que de les céder par un traité, parce qu’en cas de revers il n’y a pas de déshonneur à être malheureux, et qu’il y en a à se dégrader soi-même ; mais ces élans d’un courage tardif, et surtout les argumens qu’elle avait soumis à la commisération britannique, ne pouvaient toucher les négociateurs anglais. C’était là précisément ce qui excitait le cabinet de Londres à nous dépouiller en Asie ; aussi fut-il inflexible[1] et ne voulut-il se relâcher sur rien. Seulement, pour compatir aux illusions vraies ou fausses du cabinet de Versailles, qui, depuis deux ans, poursuivait toujours, comme autrefois, la chimère de la neutralité dans les Indes, le gouvernement anglais, bien décidé à ne pas l’observer, promit de l’établir en principe : il ne fit pas d’autre concession. Il fallut céder ; on alla même au-delà de la nécessité ; l’accord le plus cordial s’établit, et le rappel de Dupleix fut résolu. Lui seul était au fond du débat. Deux grandes nations disputaient d’un seul homme.

Tandis qu’on disposait ainsi de son sort, Dupleix, excité par la défaite, cherchait à reprendre la place de Trichanopaly. Une nouvelle tentative n’eut pas de succès ; mais, si les affaires déclinaient dans le Karnatik, celles du Dekhan étaient en pleine prospérité. Ramené par Dupleix de son découragement passager, Bussy y conservait l’avantage et gouvernait sans contrôle l’esprit du soubadar. Dans le Karnatik

  1. Dépêches du duc de Mirepoix, janvier et février 1754.