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et admis dans les rangs de la première noblesse. L’applaudissement était unanime. Toutefois un conseil amical, mais significatif, se glissait dans ces témoignages de protection ou d’amitié. On espérait qu’après avoir soutenu avec éclat le nom français dans les Indes, Dupleix donnerait la paix à ces contrées lointaines. On n’osait pas dire qu’on voulait cette paix à tout prix, mais on y intéressait la gloire du gouverneur lui-même. Pour le flatter, pour l’encourager, on allait jusqu’à lui citer l’exemple du monarque bien-aimé qui, sur le champ de bataille conquis par sa valeur, avait posé les premiers fondemens de l’œuvre pacifique glorieusement conclue, disait-on, au congrès d’Aix-la-Chapelle !

Il s’établit alors entre Dupleix et ses chefs immédiats une correspondance sans hostilité apparente, mais au fond sans sympathie et sans franchise. Le ministère ordonnait au gouverneur de travailler à la paix, la compagnie ne le lui prescrivait pas formellement, et Dupleix feignait de la désirer. Il avait été jusqu’à faire semblant de vouloir la négocier avec Méhémet-Aly, nabab du Karnatik, et avec les Anglais ses alliés. Nous ne comparerons pas plus Dupleix à l’Alexandre de nos jours qu’à celui des temps antiques ; mais toute réserve faite, toute proportion gardée, en lisant les lettres du vainqueur moderne de l’Indostan, on ne peut s’empêcher de songer à l’homme qui courait de capitale en capitale, prenant un à un tous les royaumes de l’Europe, et prétendant toujours qu’il faisait la guerre pour avoir la paix.

Voulant rester maître absolu de ses mouvemens, Dupleix ne rendait compte de rien ; il n’écrivait pas ou n’écrivait qu’en termes généraux. Au fait, il ne pouvait pas rendre raison de ses opérations ; les mander, c’était les paralyser. On ne les entravait déjà que trop. Le ministère, la compagnie surtout, se sentaient profondément irrités de cette indépendance ; mais, comme le succès accompagnait les entreprises du gouverneur et que le commerce était loin de souffrir de la guerre, les ennemis de Dupleix prenaient patience, et, pour l’accabler, guettaient le premier revers. Le mauvais succès du siège de Trichanopaly donna le signal du déchaînement, qui fut prompt, instantané et général. De tous les points de la France retentirent des clameurs dont le ministère avait donné l’exemple Dupleix n’était plus qu’un rebelle, un déprédateur, un fou, qui ruinait la compagnie, perdait nos possessions dans l’Inde, éternisait la guerre ; de plus, il fut de mode de détester en lui l’ennemi de La Bourdonnais, devenu dans sa prison le protégé de l’opinion publique, qu’il avait infatigablement occupée de sa défense. Les femmes, les jeunes